Tori et Uke, amis pour la vie

Tori et Uke sont deux personnages bien connus des pratiquants d’arts martiaux et notamment des ju-jitsukas. Pour les novices et afin de faciliter les présentations, nous pourrions expliquer que dans ce couple d’inséparables, Tori incarne « le gentil » et Uke « le méchant ».

Cette définition, même si elle facilite l’identification des rôles, est un peu réductrice dans la mesure où les deux protagonistes, dans ces positions interchangeables, sont complémentaires et non pas adversaires. Sans Uke, Tori n’existe pas. Dire que c’est Tori qui conclut une action est plus juste pour signifier les implications respectives.

Une traduction littérale nous révèle que Tori est celui qui « prend » ou « choisit » et Uke celui qui « reçoit » ou « subit ». Cela semble assez explicite.

Dans la connivence qui unit ces deux personnages, il n’existe aucune rivalité, ils doivent être continuellement en quête d’une parfaite osmose.

Bien souvent c’est Tori qui attire davantage l’attention et le rôle d’Uke n’est  pas toujours considéré à sa juste valeur et parfois même il peut paraître ingrat. Or, son rôle est déterminant. C’est grâce à lui que Tori réalise ses progrès, qu’il peut ouvrir et élargir son champ des connaissances. En plus d’une parfaite maîtrise de la chute,  Uke doit être capable d’adopter toutes les situations, les postures et les réactions qui peuvent se présenter à son partenaire. Il se doit d’être d’une disponibilité corporelle totale, malléable à souhait, dans le bon sens du terme. Il doit «jouer le jeu ».

Pour parfaitement maîtriser une technique ou un enchaînement, il est indispensable de pouvoir les répéter des dizaines, des centaines, des milliers de fois. Imaginons un seul instant le faire sur un mauvais partenaire, pire encore sur un partenaire qui résiste systématiquement ! Pas de répétition, pas de progrès.

Le rôle d’Uke étant déterminant, il serait presque préférable d’être d’abord un bon Uke avant de devenir un bon Tori. Au-delà de cette constatation, somme toute assez logique, par l’intermédiaire de ce billet, c’est l’occasion de rendre hommage à ces personnages qui doivent être interchangeables et rappeler qu’entre eux il n’y a pas ni vainqueur ni vaincu, mais une victoire commune, celle de la conquête du savoir.

Les méthodes d’entraînement…

L’article de cette semaine est consacré aux méthodes d’entraînement.

Ce sont des exercices de perfectionnement possédant, chacun dans son domaine une spécificité. Ils permettent de renforcer la vitesse, les automatismes, la tonicité, la forme de corps, le placement, les déplacements, etc.

Ils renforcent ces qualités  dans le domaine de l’atemi-waza (le travail de coups), du nage-waza (les projections) et dans le ne-waza (le travail au sol). Ils  peuvent se faire seul ou à deux (le plus souvent), mais aussi à plusieurs, statiques ou en déplacement.

Il y a les exercices qui consistent à faire d’inlassables répétitions sans aucune opposition de la part du partenaire et d’autres qui se font avec une opposition plus ou moins importante, mais toujours conventionnelle.

Par conséquent on peut définir deux groupes : le premier où le partenaire ne produit aucune opposition et le second au cours duquel il offre une certaine résistance qui permet de se renforcer en situation d’opposition relative.

La plus connue de ces méthodes d’entraînement est l’uchi-komi ; elle consiste à répéter une technique de projection sans faire chuter, juste en soulevant le partenaire. On peut aussi effectuer cette répétition dans le domaine de l’atemi-waza et du ne-Waza. Pour certaines techniques l’uchi-komi peut aussi s’effectuer dans « le vide », c’est-à-dire tout seul.

On trouve ensuite (plus particulièrement dans le domaine des projections) le nage-komi qui consiste à se faire chuter à tour de rôle, ou plusieurs fois de suite, avec un certain rythme. Et puis, il y a le randori (qui n’est pas un véritable combat) et qui offre un travail en opposition « mesurée », sur un thème précis, au sol et debout, en atemi-waza et en projections.

On oublie trop souvent des exercices tels que le kakari-geiko et le yaku-soku-geiko. Le premier permet à Tori de renforcer son système d’attaque sans la peur de contre prise de la part d’Uke. Celui-ci se contentant d’essayer d’esquiver les initiatives de Tori, l’obligeant ainsi à s’adapter et à trouver d’autres solutions.

Le second, le yaku-soku-geiko, que l’on peut qualifier de « randori souple » offre la possibilité aux deux protagonistes de s’exprimer dans une opposition uniquement axée sur une reprise d’initiative, sans contre prise directe, uniquement en « sen-o-sen. », l’attaque dans l’attaque (pour ce qui concerne les projections).

On pratique également cet exercice en atemi-waza, on peut utiliser des gants de boxe qui servent de cibles. Uke « appelant » les coups en plaçant les gants sur différentes parties du corps. A lui de diversifier les demandes pour que Tori diversifie ses coups.

En ne-waza existent aussi des méthodes d’entraînement. Une que j’affectionne particulièrement est de définir une  position de départ – par exemple Tori sur le dos et Uke entre les jambes – et à partir de là, Tori a une minute pour aboutir à un résultat. Uke ne faisant que de la défense. Cela permet au premier de travailler son système d’attaque sans craindre de se faire contrer.

Une autre méthode, purement ju-jitsu (que mes élèves connaissent bien), consiste à répéter une technique de défense sur une situation précise, puis une seconde et ensuite de les enchaîner vite et fort, sans temps d’arrêt ; de même avec une troisième et ainsi de suite, jusqu’à six, ce qui est déjà très bien.

Les katas peuvent aussi être considérés comme des méthodes d’entraînement, puisqu’ils sont le reflet d’un combat. Un combat pré arrangé, certes, mais qui permet d’affûter les techniques et d’acquérir des automatismes.

Les exercices qui se limitent aux séries de répétitions, seul ou avec un partenaire, peuvent parfois sembler ingrats ; la récompense viendra avec le constat des progrès réalisés lors des randori. Et lorsque ces randori en  question sont exécutés avec un partenaire possédant le même état d’esprit, c’est à dire démunie de toute violence, ils ne sont jamais dépourvus d’un aspect ludique, ce qui n’est pas incompatible avec une pratique sérieuse des arts martiaux.

 

Katame-waza, le travail des contrôles

Après l’atemi-waza et le nage-waza, place au katame-waza, pour aborder la troisième composante du ju-jitsu.

Dans les techniques de contrôle se trouvent les clefs (kansetsu-waza), les étranglements (shime-waza) et les immobilisations (osae-waza). Ces trois domaines sont utilisés en judo comme en ju-jitsu, avec des objectifs différents.

En ju-jitsu ces techniques marquent souvent la dernière phase d’une défense, après les coups et les projections, mais pas systématiquement, elles peuvent être utilisées directement sur une attaque. En judo elles se concrétisent toujours au sol.

En ju-jitsu, elles peuvent s’appliquer aussi bien debout qu’au sol. Leur efficacité est redoutable et elles permettent parfois de moduler la riposte. A l’aide d’une clef, par exemple, il est possible de maîtriser un agresseur sans forcément mettre ses jours en danger, ce qui n’est pas inutile ; le respect de la vie et la notion de légitime défense sont des notions à respecter.

Les clefs (kansetsu-waza) consistent à « forcer » les articulations à « contre-sens » pour celles en hyper-extension ou aller au-delà des possibilités de flexion pour les clefs en torsion.  Le premier groupe appartient aux « gatame », le second aux « garami ». En ju-jitsu self-défense  existe aussi les torsions de poignet, les clefs de jambes, autant de techniques interdites en judo, pour des raisons évidentes de sécurité.

Concernant les étranglements (shime-waza), l’étude doit être sérieusement encadrée, il est évident que l’issue peut s’avérer fatale. Cependant, comme pour beaucoup de techniques, l’apprentissage est long et avant une parfaite maitrise il faut une longue pratique au cours de laquelle on aura acquis de la sagesse et du contrôle. Il y a deux formes d’étranglements : respiratoires et sanguins. Ils se pratiquent essentiellement à l’aide des membres supérieurs, mais les jambes sont aussi de redoutables armes naturelles dans ce domaine, la preuve  avec le fameux « sankaku-jime ».

Quant aux immobilisations (osae-waza), elles sont surtout utilisées en judo et uniquement au sol. En ju-jitsu self-défense l’intérêt se limite à celles qui emprisonnent aussi les bras de l’adversaire.

Comme indiqué plus haut, l’efficacité demande beaucoup de pratique, donc de patience, de volonté et de rigueur. Mais ne s’agit-il pas de qualités indispensables dont doit être doté tout étudiant dans les arts martiaux ?

Bien réaliser un waki-gatame, par exemple, demande énormément de travail. Il y a la précision, la meilleure utilisation des ressources naturelles du corps et pour cela une « forme de corps » que l’on va modeler, un peu comme un sculpteur le ferait avec son « ouvrage ».  Pour cela les conseils du professeur sont indispensables, mais plus encore il s’agira de ne pas se lasser de longues, très longues répétitions pour « ressentir » la technique.

Côté efficacité, je ne manque de témoignages de personnes agressées ayant pu se sortir de situations très délicates, pour ne pas dire périlleuses, notamment face à des attaques avec armes, grâce au « katame-waza ». Cela vaut la peine de consacrer du temps à l’étude de cette composante incontournable du ju-jitsu.

Nage-waza (travail des projections)

Après l’atemi-waza (le travail des coups), la semaine dernière,  j‘évoque aujourd’hui le nage-waza (le travail des projections).

La famille des projections est une composante incontournable du judo mais aussi du ju-jitsu. Que ce soit en compétition de judo, ou dans le domaine de la self-défense, les affrontements commencent debout.

L’efficacité, l’esthétisme et l’aspect ludique sont les trois raisons qui me font aimer ce domaine majeur qu’est le nage-waza.

Les projections peuvent être tout à la fois efficaces et esthétiques. Efficaces dans la mesure où « tout le monde peut faire tomber tout le monde », pour peu que « le bon geste au bon moment » soit appliqué. Qui peut contester leur terrible efficacité, surtout sur un sol dur ?

Ceci étant, leur parfaite maîtrise demande beaucoup de travail, de persévérance et de rigueur, mais quelle merveilleuse récompense que celle de réaliser un bel uchi-mata, par exemple.

Le principal intérêt des projections réside dans le fait qu’elles ont été conçues pour être appliquées en utilisant des principes et des mécanismes qui ne demandent que peu ou pas d’effort. Leur parfaite exécution répond à l’une des maximes de Jigoro Kano « minimum d’effort et maximum d’efficacité ». Le premier de ces principes consiste à utiliser la force de l’adversaire. Il y en a d’autres, comme celui de l’addition des forces, de bascule au-dessus du centre de gravité, etc.

L’utilisation des projections sera différente selon que l’on se situe dans le domaine de la « self-défense » ou en opposition lors de randori (exercice libre d’entraînement) ou encore de compétition entre judokas. En matière d’auto-défense l’application se fera la plupart du temps directement. Exemple : l’adversaire vous pousse, vous appliquez hiza-guruma. Pour les néophytes, il s’agit d’une projection qui consiste à faire le vide devant celui qui porte l’attaque, en ajoutant  simultanément à sa poussée, une traction dans la même direction, tout en lui « barrant » le bas de son corps au niveau des jambes (une sorte de « croche patte » très amélioré).

Dans le randori et à fortiori en compétition de judo, les deux protagonistes maîtrisant d’une part l’art des projections et d’autre part s’attendant à tout moment à devoir faire face à une attaque de ce type, la concrétisation se fera avec les notions d’enchaînements, de confusions, de contre-prises, etc. Il n’empêche que pour maîtriser parfaitement l’art des projections un ju-jitsuka ne devra pas négliger l’ensemble des méthodes d’entraînement qui permettent d’envisager des réactions de la part de l’opposant.

Enfin, concernant l’aspect ludique (à l’entraînement évidemment) il est bien réel. Nous sommes aussi dans le loisir et il ne serait pas sain d’être continuellement dans des conditions psychologiques identiques à celles d’une agression.

Lors des séances, l’objectif du randori réside dans le fait de faire tomber quelqu’un qui ne le veut pas et de répondre spontanément à une situation imprévisible ! Pour cela on utilisera la maîtrise technique, la vitesse, les fautes du partenaire, celles qui sont directes et celles provoquées à l’aide de feintes et de confusions. C’est une sorte de jeu dans lequel réside beaucoup de plaisir, de satisfaction, à la condition de ne pas être celui qui chute tout le temps ! Cela doit se concevoir sans aucune intention d’humilier le partenaire (encore moins de l’écraser) mais simplement avec l’envie de progresser par rapport à soi-même.

Le nage-waza est aussi le secteur qui comporte le plus de techniques et par conséquent d’enchaînements et de combinaisons possibles. Enfin, chacun pourra les adapter en fonction de son gabarit.

C’est donc un domaine efficace, spectaculaire et enthousiasmant. Sans oublier l’épanouissement physique et mental qu’il ne manquera pas d’apporter, c’est aussi une belle expression corporelle.

Il aurait inévitablement manqué quelque chose à mes démonstrations si ces techniques n’existaient pas !

La semaine prochaine, le katame-waza, les techniques de contrôle !

 

Atemi ju-jitsu et combat

Cette « publication souvenir » nous ramènent au milieu des années 1970.

La méthode « atemi ju-jitsu » avait pour objectif la remise en valeur du ju-jitsu – et d’un groupe de techniques délaissées, en l’occurrence les percussions (atemi) – afin de répondre à la demande émanant d’une population intéressée par l’aspect utilitaire et pas forcément par l’aspect sportif. Cette initiative permettait d’élargir et de satisfaire un important panel de pratiquants. L’association avec le judo était naturelle, elle  établissait une solide complémentarité.

Par la suite, l’instauration de compétitions d’affrontement direct en ju-jitsu allait à l’encontre du but initial, celui de proposer un enseignement à but non compétitif.  Je me suis souvent exprimé sur le sujet en affirmant que je n’étais pas contre la compétition (bien que parfois certains excès interpellent), mais que certaines disciplines pouvaient difficilement s’adapter à des affrontements directs, sauf à être tronquées techniquement pour des raisons évidentes de sécurité. Par conséquent, elle est quelque peu dénaturée et perd l’objectif initial.

La formule peut être attractive et intéresser certains pratiquants, mais sous une autre appellation que ju-jitsu, et puis elle est malgré tout difficilement praticable. De plus, à partir du moment où existent des compétitions, beaucoup de professeurs se limitent à l’enseignement des seules techniques qui y sont autorisées. Nous ne sommes plus dans la self-défense, nous retournons à la case départ en éloignant les hommes et les femmes à la recherche d’un simple loisir utilitaire, doté d’un engagement physique abordable et mesuré.

Certains clubs, qui le peuvent et le veulent, proposent les deux formes de travail (traditionnel et « combat »), mais par manque de créneaux horaires, c’est souvent la deuxième forme qui est privilégiée. Privant les clubs de judo ju-jitsu d’un potentiel non négligeable de pratiquants se tournant vers d’autres horizons, déçus de ne pas trouver ce qu’ils recherchent.

Pour ma part je suis plus que jamais attaché à la forme traditionnelle de notre ju-jitsu, elle est sa vraie nature. Dans cette forme il reste une complémentarité indiscutable au judo, ou encore sa meilleure approche.

Lettre ouverte…

Lettre ouverte à l’attention de Monsieur le Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance

Monsieur le Ministre,

Vous évoquez la belle croissance d’après crise, mais vous semblez oublier une catégorie de gens qui regroupe ceux qui ont été laissés au bord du chemin ! La croissance en question à laquelle vous faites référence ne profite à tout le monde, loin s’en faut.

En 2015, j’avais décidé de quitter la capitale pour m’installer en province en espérant pouvoir y exercer mon activité qui viendrait en complément de l’inconsistante retraite des indépendants ! Malheureusement, ne trouvant pas de solutions dans mon secteur d’activité, en juillet 2019 je décidais de revenir à Paris pour y ouvrir un dojo privé. Je n’ai pas hésité à traverser la moitié du pays pour recréer une petite entreprise.

Quelques mois après, en raison de la crise sanitaire, j’étais contraint de fermer cette entreprise.

Tout le monde n’a pu bénéficier pleinement des aides ; les critères d’éligibilité n’étant accessibles qu’à certaines conditions. Comme je ne pouvais pas me permettre de lutter contre une propriétaire qui exigeait ses loyers, j’ai, selon l’expression consacrée, mis « la clé sous la porte ». Je sais que je ne suis pas un cas unique, une partie de la population a été sacrifiée dans une certaine indifférence.

Pour résumer, j’ai perdu mon outil de travail, mon travail, l’investissement engagé dans l’ouverture de l’entreprise et tout espoir de reconstruction, faute de moyens. Et quand bien même je pourrais le faire, le climat anxiogène dans lequel nous nous trouvons n’incite pas à l’investissement, surtout lorsqu’on a déjà été floué une première fois !

Ce courrier a pour but de porter à votre attention que certaines déclarations sont difficiles à entendre et à accepter.

Aujourd’hui, je suis retourné en province avec la farouche volonté de rebondir, cependant dans certaines circonstances elle ne suffit pas, je le constate amèrement.

En espérant que ces quelques lignes retiendront votre attention, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma très haute considération.

Éric Pariset
Professeur d’arts martiaux

Stages d’été : le Golfe bleu, première partie

Impossible d’évoquer les stages d’été sans parler du Golfe Bleu. J’ai déjà eu l’occasion de consacrer quelques articles à ce lieu mythique qui a vu passer des centaines et peut-être même des milliers de judokas, de pratiquants d’autres budos, mais aussi de volleyeurs, de pongistes, de plongeurs, etc. Et tout simplement  de vacanciers. Du début des années 1950 jusqu’au milieu des années 1980, tous ceux qui y sont venus ne serait-ce qu’une fois, gardent des souvenirs qui ne périront jamais. Je sais, je suis bien placé pour l’affirmer. A titre personnel c’est environ une dizaine d’étés que j’ai passé en entier ou en partie.
Je vous laisse découvrir ou relire la première partie l’article que j’avais déjà consacré à cet inoubliable « Golfe bleu ».

Aujourd’hui direction le soleil et la Provence. Exactement à Beauvallon-sur-Mer, un hameau situé sur la commune de Grimaud,  juste à coté de Sainte-Maxime et en face de Saint-Tropez.

C’est un voyage vers le soleil et dans le temps que je vous propose en vous emmenant, quelques décennies plus tôt, dans un lieu magique qui malheureusement n’existe plus : le Golfe Bleu.

À l’initiative de Gérard et Armande Néél, couple de professeurs de judo au fort tempérament, fut ouvert dans les années 1950 un centre de vacances sur le modèle du « Club Med ». Nous étions à 300 mètres de la mer, au milieu d’une forêt de mimosas, de chênes-lièges et de pins parasols.

Le  couple avait comme projet de rassembler durant l’été des judokas et leurs familles pour des périodes d’une semaine ou plus. Le centre fonctionnant du 15 juin au 30 septembre. Au début, l’hébergement – quelque peu spartiate – se faisait dans des paillottes avec de la terre battue comme revêtement de sol ! Un tatami, protégé par un toit, mais ouvert sur les côtés, se trouvait au centre du village de vacances.

Deux heures de techniques tous les matins et… deux heures de randoris toutes les fins d’après-midi, tel était le programme des stagiaires. Pour encadrer tout cela, ce sont les meilleurs champions qui sont passés par ce lieu, ceci jusqu’à la fermeture du centre à la fin des années 1980 !

Mais ce sont les débuts de l’aventure qui sont assez fascinants et qui me laissent tant de souvenirs. En effet, mon père faisait partie de l’encadrement des premières années, avec bien sûr son « alter-ego » Henri Courtine et le fameux géant néerlandais (un pléonasme) Anton Geesink. Le centre recevait des  judokas de toute l’Europe, et même de plus loin. Souvent des équipes nationales venaient préparer les saisons suivantes. Dans ce lieu unique  une ceinture jaune pouvait faire le combat de sa vie avec un Champion du monde.

Pour ma part et à l’âge qui était le mien, il ne s’agissait pas d’entraînement, mais tout simplement d’un endroit, ou pendant une petite dizaine d’années, j’ai vécu, de juin à septembre (à l’époque la rentrée des classes se faisait vers le 21 septembre) des vacances que je peux classer parmi les plus beaux moments de ma vie. Elles m’ont permis d’assister à des combats d’entraînements d’anthologie, de côtoyer les sommités du judo et des arts martiaux, de créer des amitiés indéfectibles et de faire de cette région ma région de cœur.

Aujourd’hui, un célèbre promoteur a mis fin à la colline magique. Seul rescapé, le restaurant-plage « Le Pingouin bleu », tenu par Pierrot, le fils de la famille. Si un jour vous passez par là, n’hésitez pas, vous serez bien accueillis et vous serez à quelques pas d’un lieu chargé d’une histoire comme on n’en connaîtra plus !

(Très vite, la seconde partie)

Ukemi : savoir chuter !

Un petit rappel sur l’utilité de bien savoir chuter… Ne serait-ce que pour mieux pouvoir se relever !

Dans la pratique de la plupart des arts martiaux et notamment en ju-jitsu, apprendre à chuter est une nécessité absolue. C’est également utile dans la vie courante. C’est une sorte d’assurance. Certes, nous ne tombons pas à longueur de journée, mais beaucoup de fâcheuses conséquences pourraient être évitées avec un minimum de maîtrise du « savoir se rétablir » ; sur de la neige, de la glace ou tout simplement après s’être « emmêlé les crayons ».

Lors des entraînements, il est indispensable de savoir chuter, sans cela l’apprentissage et le perfectionnement dans le travail des projections sont impossibles.

Certains y sont réfractaires, mais peut-être faut-il appliquer un apprentissage progressif ? Tout en sachant que malgré tout la meilleure façon d’appendre à chuter, c’est de…chuter.

On distingue les chutes sur l’arrière et les chutes sur l’avant.

Dans chacune de ces catégories, il y a la chute qui se pratique sur un tatami et celle « de situation », c’est à dire en extérieur, si par malheur elle survient sur un sol dur, par accident, maladresse ou causée par une agression. Dans cette dernière situation il faudra tout à la fois se relever sans dommages et être opérationnel immédiatement.

Dans les deux cas de figure (dojo et « situation ») il faudra préserver deux parties essentielles, la tête et les articulations des membres supérieurs. Pour la tête il suffira de « la rentrer », menton dans la poitrine. Pour les bras, sur un tatami on frappera au sol « bras tendus » paumes de main vers le sol, pour à la fois protéger les articulations et repartir l’onde de choc. Sur un sol dur on se limitera à ce que les bras soient tendus vers l’extérieur et on évitera de frapper le sol. Si nous sommes bousculés et que l’on perd l’équilibre sur l’arrière, on essaiera de rouler sur une épaule en ayant préalablement pliée une jambe, pour se retrouver le plus vite possible debout face à un éventuel adversaire (photo 1).

Concernant la chute avant, il faudra se servir du bras avant comme d’une roue et d’un amortisseur. Là aussi il sera indispensable de protéger la tête avant tout et ensuite les articulations et notamment l’épaule. En dojo après avoir roulé, on se réceptionnera jambes tendues et parallèles. Dans la réalité à la réception, on pliera une jambe pour se retrouver face à l’endroit d’où l’on vient, face à un agresseur qui nous aurait poussé dans le dos (photo 2).

Tout cela est un peu technique, rien ne remplace le tatami à condition de pouvoir y accéder. Ce qui, nous l’espérons tous, arrivera un jour ou l’autre, enfin nous le souhaitons et l’espérons vivement.
(Les photos sont extraites du livre « ju-jitsu-Défense personnelle ». Édition parue en 2000.)

Une nouvelle petite histoirre

Dans le recueil de contes que j’évoquais le 19 février dernier, il y a un chapitre consacré à l’art de vaincre sans combattre. J’avais alors proposé une petite histoire savoureuse :« Trois mouches », aujourd’hui il est question d’un coq. Je vous laisse découvrir ou redécouvrir ce beau petit conte, riche en enseignement et tout aussi savoureux !

Laisser mûrir le coq
« Le roi de Tcheou avait confié à Chi Hsing Tseu le dressage d’un coq de combat prometteur, qui paraissait doué et combatif. Le roi était donc en droit de s’attendre à un dressage rapide… et il ne comprenait vraiment pas que dix jours après le début de l’entraînement il n’ait toujours pas eu de nouvelles des progrès du volatile. Il décida d’aller en personne trouver Chi pour lui demander si le coq était prêt.
– « Oh non, sire, il est loin d’être suffisamment mûr. Il est encore fier et coléreux », répondit Chi.
De nouveau dix jours passèrent. Le roi, impatient, se renseigna auprès de Chi qui lui déclara :
– « Le coq a fait des progrès, majesté, mais il n’est pas encore prêt car il réagit dès qu’il sent la présence d’un autre coq. »
Dix jours plus tard, le roi, irrité d’avoir déjà tant attendu, vint chercher le coq pour le faire combattre. Chi s’interposa et expliqua :
– « Pas maintenant, c’est beaucoup trop tôt ! Votre coq n’a pas complètement perdu tout désir de combat et sa fougue est toujours prête à se manifester. »
Le roi ne comprenait pas très bien ce que radotait ce vieux Chi. La vitalité et la fougue de l’animal n’étaient-elles pas la garantie de son efficacité ?! Enfin, comme Chi Hsing Tseu était le dresseur le plus réputé du royaume, il lui fit confiance malgré tout et attendit.
Dix jours s’écoulèrent. La patience du souverain était à bout. Cette fois, le roi était décidé à mettre fin au dressage. Il fit venir Chi et le lui annonça sur un ton qui trahissait sa mauvaise humeur. Chi prit la parole en souriant pour dire :
– « De toute façon, le coq est presque mûr. En effet, quand il entend chanter d’autres coqs il ne réagit même plus, il demeure indifférent aux provocations, immobile comme s’il était de bois. Ses qualités sont maintenant solidement ancrées en lui et sa force intérieure s’est considérablement développée. »
Effectivement, quand le roi voulut le faire combattre, les autres coqs n’étaient visiblement pas de taille à lutter avec lui. D’ailleurs ils ne s’y risquaient même pas car ils s’enfuyaient dès qu’ils l’apercevaient. »

Envoyé de mon iPhone

Comme promis…

Henri Courtine

Comme promis un nouvel hommage, plus personnel, cette fois !

Dissocier Henri Courtine de mon père est impossible, le contraire l’est tout autant.
Mon chagrin en a été que plus important à l’annonce de sa disparition.

Il a été un champion au palmarès exceptionnel, son judo l’était tout autant, grâce à un style d’une grande pureté. Spécialiste, entre autre, des balayages, ce qui lui avait d’ailleurs valu la « une » d’un journal qui n’avait pas manqué d’humour : Courtine le « roi des balayeurs ».

Il y a eu le champion, le professeur, mais aussi le dirigeant qui a occupé des postes prestigieux en France, mais aussi au niveau international.

Cette carrière force l’admiration. Mais pour moi qui ai eu la chance de le côtoyer dans la sphère privée, il représente bien plus que tout cela. Celui qui fut l’adversaire de mon père sur les tatamis, mais aussi et surtout son meilleur ami dans la vie est devenu au fil des années mon « père spirituel ».

Nous avons eu un long parcours en commun.
Je l’ai connu alors que j’étais tout jeune enfant à Beauvallon-sur-mer, sur les bords de cette Méditerranée qu’il aimait tant. Précisément au camp de vacances du Golfe bleu où il dirigeait chaque été avec mon père et Anton Geesink le stage international.

Ensuite il a été mon professeur à la section judo du collège de Saint-Michel de Picpus à Paris. Cela me vaut d’avoir mes ceintures de couleur signées de la main de Bernard Pariset (naturellement mon premier et principal professeur) et de celle d’Henri Courtine (ils ne doivent pas être nombreux sont qui ont eu cette chance et cet honneur).

Puis, alors qu’il exerçait la fonction de Directeur technique national et qu’il avait validé la remise en valeur du ju-jitsu initiée par mon père, j’ai participé à l’élaboration de nombreux documents techniques sous sa responsabilité.

Ensuite nous nous sommes retrouvés sous les couleurs de la section judo du Stade Français. Lui président  et moi combattant.

Quand à la fin de sa carrière il a été nommé directeur du CREPS de Boulouris, nous avons eu à nouveau l’occasion de nous retrouver en Provence lorsque je participais à l’encadrement de stages fédéraux.

Je n’oublie pas les fois où j’ai été invité à passer quelques semaines de vacances en sa compagnie et celles de Micheline son épouse et de sa fille Catherine, à Sainte-Maxime, toujours dans le Var. Notamment en 1969, ce qui nous a valu d’assister ensemble en direct, le 21 juillet précisément (le jour de mes quinze ans) « aux premiers pas sur la Lune ».

Nous avons pu également faire quelques balades à cheval dans le beau département de l’Yonne, lorsqu’il venait passer quelques jours dans notre famille.

D’ailleurs si l’équitation était devenue la deuxième passion de mon père c’est grâce à Henri Courtine qui l’avait « trainé » un jour dans un ranch à Saint-Aygulf, pour occuper les « soirées d’après judo » du golf bleu. Il n’imaginait pas qu’ensuite, en plus de la direction de son club de la Rue des Martyrs à Paris, mon père allait créer un centre équestre à deux heures de la capitale.

A l’heure actuelle nous avons une propension à tourner trop rapidement les pages, à oublier nos aînés et ce qu’ils nous ont légué, faisons en sorte qu’il n’en soit pas de même pour le judoka qui m’a enchanté, le dirigeant que j’ai respecté et l’homme que j’ai admiré !

Sur la photo d’illustration (scène de la vie quotidienne au camp de vacances du Golfe bleu à Beauvallon-sur-Mer) déjà publiée dernièrement mais qui « colle » parfaitement à l’article, de gauche à droite : Mon père, Madame Courtine, Catherine Courtine, Henri Courtine, ma mère, votre serviteur et Massanori Fukami.