Utile…

Chaque métier (je préfère ce mot à celui de travail) possède ses utilités, dont celle de subvenir à nos besoins et à ceux dont on a la charge. Ensuite, il est incontestable que certains métiers ont une utilité plus directe.

Je pense avoir la chance d’exercer une profession qui n’en est pas dénuée (quand je n’en suis pas privé). « Professeur » est une belle appellation. Certains n’ont pas hésité à l’appeler « le plus beau métier du Monde ». Cependant, comme dans beaucoup de professions, on ne peut échapper à quelques incompétences et/ou à des usurpateurs.

Dans les arts martiaux nous avons une triple utilité. L’éducation physique, l’aspect « purement utilitaire »  avec la self-défense et enfin une formation mentale et morale.

L’éducation physique, avec des répétitions qui développent de façon harmonieuse les parties de notre corps qui sont aussi nos « armes naturelles ». Ce renforcement s’acquiert de façon plus agréable que par l’intermédiaire de machines quelque peu austères. Et puis, cette pratique se faisant dans un sens naturel, les risques de blessures sont moins importants que celles provoquées par un développement disons « artificiel ». Nous ne faisons que révéler des qualités et des compétences intrinsèques. On fera l’acquisition de souplesse, de tonicité, de précision et de vitesse. Tout cela au service, entre autre, de notre « science du combat ».

Cette science, pour ce qui concerne le ju-jitsu, est utile sur un plan purement pratique (c’est son ADN), il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas en convenir ; j’ai consacré un bon nombre d’articles sur le sujet, on peut les retrouver sur mon blog. Les techniques ont été souvent utiles à des personnes lâchement agressées (être agressé lâchement est une sorte de pléonasme).

Sur le plan psychologique, ce qui n’est pas le moins important, les bienfaits de l’exercice physique ne sont plus à démontrer. Mais l’étude des arts martiaux (correctement enseignés) se doit aussi d’inculquer des valeurs morales utiles à la vie en société, entre autre, elle doit participer à la lutte contre la violence, ce fléau qui ne fait que progresser, et non pas l’exacerber. Le professeur ne doit pas se contenter de dispenser de la technique, il doit aussi inculquer de l’éthique. Enfin, un enseignement sérieux n’interdit pas que s’invite dans les séances un aspect ludique qui contribuera à un bien être général. Ce qui est bon pour la tête est bon pour le corps et inversement.

Renforcer la confiance en soi, offrir du bien être et participer à une bonne éducation générale, voilà les principaux bienfaits offerts par une pratique bien encadrée et correctement animée.

Ces quelques lignes ne manqueront pas de faire la démonstration du caractère UTILE de ma profession. Bien évidemment, j’en suis très fier.

Kantsetsu waza, travail sur les articulations

Kantsetsu waza, travail sur les articulations

En d’autres termes : les clefs.

Dans les « katame-waza », techniques de contrôle, on trouve les clés, les étranglements et les immobilisations.

Dernièrement, j’ai proposé les étranglements, aujourd’hui ce sont des clefs dont il est question.

Voilà un domaine passionnant qui demande beaucoup de patience pour être parfaitement maîtrisé. Mais, n’est-ce pas une vertu essentielle que doit posséder un pratiquant d’arts martiaux ?

Elles sont pratiquées sur toutes les articulations, aussi bien sur les membres supérieurs que sur les membres inférieurs  : poignet, coude, épaule, hanche, genou, cheville, mais aussi sur la colonne vertébrale !

On les retrouve debout et au sol. Elles sont utilisées dans la plupart des disciplines de corps à corps et bien évidement en ju-jitsu.

Le principe – expliqué de façon très simple – est de forcer l’articulation dans le sens « qui n’est pas fait pour cela ».

On distingue les clefs en torsion et les clefs en hyper extension.

Dans les disciplines où existent des compétitions, certaines sont interdites, à juste titre, parce que trop dangereuses et pouvant laisser de terribles séquelles qui iraient à l’encontre de l’objectif du sport qui est d’améliorer l’être humain.

Dans les méthodes de self défense, on se doit d’étudier les clefs sur l’ensemble des articulations.

Leur apprentissage est parfois long, et certains mettent en cause leur efficacité pour cette raison. Il est vrai que pour appliquer quelques uns de ces contrôles, il faut qu’ils soient étudiés et répétés énormément, sans doute davantage que d’autres techniques.

Cependant, il serait dommage de faire l’impasse, elles sont terriblement efficaces et elles  ont l’avantage de pouvoir éventuellement « graduer » la riposte, ce qui n’est pas un moindre intérêt. Sur le plan de la légitime défense et tout simplement sur celui du respect de la vie et de la lutte contre l’escalade de la violence. A noter que certaines d’entre elles, notamment sur la colonne vertébrale, peuvent être fatales.

Tout comme pour les étranglements, il est évident que le signal qui signifie l’abandon doit être scrupuleusement respecté.

Beaucoup de ces techniques sont appliquées debout et au sol, mais certaines, comme le bien connu juji gatame, n’aboutissent qu’au sol. Même si celle-ci possède une opportunité très spectaculaire qui commence debout.

Concluons avec un sourire en affirmant que le kantsetsu-waza, c’est la solution « clé en main ».

L’échauffement

Partie incontournable et indispensable d’une séance, l’échauffement est parfois vécu comme redondant, ennuyeux ou trop difficile.

C’est dommage, parce qu’il est indispensable et d’une grande utilité !

Sa vocation est de mettre le corps et l’esprit dans de bonnes dispositions pour l’ensemble de la séance. Il influence forcément la suite du cours. Il ne permet pas uniquement de limiter les risques de blessures, il donne aussi le ton pour la suite. Il ouvre le chemin !

Par définition il ne doit être ni trop long, ni trop difficile, il ne faut pas confondre échauffement et épuisement. Il doit être attractif, et non pas rébarbatif.

Les exercices peuvent être choisis en fonction du thème principal développé lors de la séance.

Sur un plan purement pratique, ce n’est pas tant le choix des exercices qui est important, mais la façon de les pratiquer. Certains que l’on a l’habitude d’exécuter pour s’échauffer peuvent être dangereux s’ils sont fait n’importe comment, trop fort, trop vite, ou trop longtemps.

D’autres auxquels on ne pense pas forcément  peuvent être proposés s’ils sont fait intelligemment, avec mesure. Par exemple des exercices d’opposition très codifiés au cours desquels les partenaires sont en parfaite osmose. C’est pour cette raison que, s’adressant à des débutants, on sera plus prudent avec une sélection de techniques qui devront rester « classiques ».

Si l’échauffement est utile pour éviter les blessures, il n’est pas un « blanc seing » pour le reste du cours durant lequel le professeur pourrait se permettre de faire travailler certaines techniques et exercices dangereux, sous prétexte que l’échauffement a été effectué. Mais la suite de la leçon, c’est un autre sujet !

En conclusion de ce petit article sur l’échauffement, on peut dire qu’il doit être court, attractif et pourquoi pas récréatif, nous sommes aussi dans le loisir. Il doit échauffer les principales articulations et groupes musculaires, solliciter le système cardio-pulmonaire et provoquer un bien être général qui sera un atout pour le reste de la séance.  Un bon échauffement sera la première des conditions pour une séance réussie.

www.jujitsuericpariset.com

 

Shime-waza, le travail des étranglements

Pour les néophytes, le mot étranglement est souvent effrayant. C’est une peur bien légitime, puisque cela signifie la perte de connaissance si la technique n’est pas maitrisée. Les pratiquants ne ressentent  pas la même crainte, puisqu’avec une parfaite  maitrise technique et le respect des signes d’abandons, les étranglements peuvent être travaillés sans danger. Inutile de préciser qu’ils sont d’une redoutable efficacité.

Leur étude consiste à les appliquer, mais aussi à apprendre à s’en défendre. Que ce soit contre des étranglements « sommaires » ou très techniques.

Les étranglements se pratiquent essentiellement à l’aide des membres supérieurs, mais lorsqu’on se trouve au sol, ils peuvent aussi  s’appliquer avec les jambes ; exemple, le fameux sankaku-jime.

On peut les appliquer en étant de face ou placé derrière le partenaire et cela debout comme au sol.

Il y a les étranglements sanguins et les étranglements respiratoires. Les premiers empêchent l’arrivée du sang au cerveau (ce qui permet de savoir si nous sommes pourvus de cet « instrument »). Les seconds provoquent l’asphyxie en bloquant la respiration. Dans le premier cas on s’endort, dans le second on étouffe !

On trouve aussi deux groupes dans cette famille de techniques. Un premier dans lequel on applique l’étranglement « à mains nues » et un second où l’on utilise les revers d’une veste.

Il est évident que leur étude doit s’entourer de précautions et de mise en garde. Au signal d’abandon qui consiste à frapper deux fois au sol ou sur une partie du corps avec la paume de la main, ou avec le pied (kime-no-kata), l’exécutant doit immédiatement arrêter son action.

Dans la réalité, il faudra être en mesure de « doser » l’action en question. Celle-ci consistant à mettre hors d’état de nuire l’agresseur, sans mettre ses jours en danger, en évitant d’être obligé de recourir aux techniques de réanimation : les techniques apprises lors des cours de secourisme ou dans l’étude des fameux « kuatsu ». Durant toute ma carrière de professeur, je n’ai jamais eu à déplorer d’incidents majeurs. Il est arrivé que des personnes perdent connaissance, mais la retrouvent immédiatement.

S’ils sont terriblement efficaces, il faut souligner que les appliquer sur quelqu’un qui résiste, requiert une longue pratique. Une longue pratique qui fournira de l’efficacité, mais aussi et surtout une indispensable sagesse.

Comme la plupart des techniques pratiquées dans les arts martiaux, les étranglements sont dangereux, mais pas davantage qu’un coup porté sur un point vital ou bien qu’une projection au cours de laquelle la tête de celui qui chute heurte violemment le sol.

Encore une fois, c’est au professeur qu’incombe la responsabilité d’apprendre correctement les  techniques, en entourant leur apprentissage des indispensables consignes de sécurité.

Vaincre sans combattre, deuxième…

Laisser mûrir le coq !

Une partie du pays à la chance d’être encore en vacances et dans ces périodes, j’ai l’habitude de remplacer l’article technique hebdomadaire par un délicieux petit conte. Une de ces histoires qui sont des « leçons de vie ». Aussi, aujourd’hui je continue avec le concept du « vaincre sans combattre ». Je n’ignore pas que cette savoureuse histoire a déjà  eu sa place sur le blog et la page Facebook, mais on ne s’en lasse pas.

Laisser mûrir le coq. « Le roi de Tcheou avait confié à Chi Hsing Tseu le dressage d’un coq de combat prometteur, qui paraissait doué et combatif. Le roi était donc en droit de s’attendre à un dressage rapide… et il ne comprenait vraiment pas que dix jours après le début de l’entraînement il n’ait toujours pas eu de nouvelles des progrès du volatile. Il décida d’aller en personne trouver Chi pour lui demander si le coq était prêt. -« Oh non, sire, il est loin d’être suffisamment mûr. Il est encore fier et coléreux », répondit Chi. De nouveau dix jours passèrent. Le roi, impatient, se renseigna auprès de Chi qui lui déclara : – « Le coq a fait des progrès, majesté, mais il n’est pas encore prêt car il réagit dès qu’il sent la présence d’un autre coq. » Dix jours plus tard, le roi, irrité d’avoir déjà tant attendu, vint chercher le coq pour le faire combattre. Chi s’interposa et expliqua : – « Pas maintenant, c’est beaucoup trop tôt ! Votre coq n’a pas complètement perdu tout désir de combat et sa fougue est toujours prête à se manifester. » Le roi ne comprenait pas très bien ce que radotait ce vieux Chi. La vitalité et la fougue de l’animal n’étaient-elles pas la garantie de son efficacité ?! Enfin, comme Chi Hsing Tseu était le dresseur le plus réputé du royaume, il lui fit confiance malgré tout et attendit. Dix jours s’écoulèrent. La patience du souverain était à bout. Cette fois, le roi était décidé à mettre fin au dressage. Il fit venir Chi et le lui annonça sur un ton qui trahissait sa mauvaise humeur. Chi prit la parole en souriant pour dire : – « De toute façon, le coq est presque mûr. En effet, quand il entend chanter d’autres coqs il ne réagit même plus, il demeure indifférent aux provocations, immobile comme s’il était de bois. Ses qualités sont maintenant solidement ancrées en lui et sa force intérieure s’est considérablement développée. »Effectivement, quand le roi voulut le faire combattre, les autres coqs n’étaient visiblement pas de taille à lutter avec lui. D’ailleurs ils ne s’y risquaient même pas car ils s’enfuyaient dès qu’ils l’apercevaient. »

 

Petite histoire

Cette semaine, à la place de l’article technique, une petite histoire savoureuse extraite du recueil « Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ».

L’art de vaincre sans combattre. L’intelligence au service de la victoire. Un concept qui n’a pas d’âge, et pourtant…

« Le célèbre Maître Tsukahara Bokuden traversait le lac Biwa sur un radeau avec d’autres voyageurs. Parmi eux, il y avait un samouraï extrêmement prétentieux qui n’arrêtait pas de vanter ses exploits et sa maitrise du sabre. A l’écouter, il était le champion toutes catégories du Japon. C’est ce que semblaient croire tous les autres voyageurs qui l’écoutaient avec une admiration mêlée de crainte. Tous ? Pas vraiment, car Bokuden restait à l’écart et ne paraissait pas le moins du monde gober toutes ces sornettes. Le samouraï s’en aperçut et, vexé, il s’approcha de Bokuden pour lui dire : «Toi aussi tu portes une paire de sabres. Si tu es samouraï, pourquoi ne dis-tu pas un mot » ? Budoken répondit calmement :

-« Je ne suis pas concerné par tes propos. Mon art est différent du tien. Il consiste, non pas à vaincre les autres, mais à ne pas être vaincu. »

Le samouraï se gratta le crâne et demanda :

– « Mais alors, quelle est ton école ? »

– « C’est l’école du combat sans armes. »

– « Mais dans ce cas, pourquoi portes-tu des sabres ?

– « Cela me demande de rester maître de moi pour ne pas répondre aux provocations. C’est un sacré défi. »

Exaspéré, le samouraï continua :

-« Et tu penses vraiment pouvoir combattre avec moi sans sabre ? »

– « Pourquoi pas ? Il est même possible que je gagne ! »

Hors de lui, le samouraï cria au passeur de ramer vers le rivage le plus proche, mais Bukuden suggéra qu’il serait préférable d’aller sur une île, loin de toute habitation, pour ne pas provoquer d’attroupement et être plus tranquille. Le samouraï accepta. Quand le radeau atteignit une île inhabitée, le samouraï sauta à terre, dégaina son sabre, prêt au combat.

Budoken enleva soigneusement ses deux sabres, les tendit au passeur et s’élança pour sauter à terre, quand, soudain, il saisit la perche du batelier, puis dégagea rapidement le radeau pour le pousser dans le courant.

Budoken se retourna alors vers le samouraï qui gesticulait sur l’île déserte et il lui cria – « Tu vois, c’est cela, vaincre sans arme ! »

Les sutemi…

Ils sont l’illustration parfaite du principe de non opposition et de celui de l’utilisation de la force de l’adversaire. Dans notre langue, nous les appelons les « techniques de sacrifices », en effet, pour les appliquer il faut s’effacer devant l’adversaire en se mettant volontairement au sol, sur le dos ou le flanc. Les sutemis sont de fait praticables par tous les gabarits et notamment les plus faibles sur les plus forts.  Par conséquent, une fois bien maîtrisés, leur efficacité est redoutable. Tomoe-nage la fameuse « planchette japonaise » est le plus célèbre d’entre eux.

Dans leur exécution, non seulement on ne s’oppose pas à la force de l’adversaire, mais on y ajoute la nôtre. Même dénué de toute puissance, il suffit de « conduire » celle de l’opposant. A partir de là, « tout le monde peut faire tomber tout le monde ». Nous sommes au cœur de l’efficacité du ju-jitsu tel qu’il doit être enseigné et pratiqué.

Certes sans action offensive de l’adversaire, il est impossible d’appliquer ces principes d’addition de force, mais le ju-jitsu (bien présenté) a toujours revendiqué le titre de méthode de défense et non pas d’attaque.

En judo, avec l’avènement de la compétition et des catégories de poids, certaines projections ont dû être adaptées, c’est le cas des sutemis ; dans la mesure où, à technique (presque) équivalente et à poids égal, les principes de base n’ont plus les même effets, y compris celui de la surprise pour la personne qui en agresse une autre et qui n’envisage pas forcément que celle-ci puisse se défendre en utilisant de telles techniques. Le meilleur exemple d’adaptation, pour lequel on peut presque utiliser le terme de nouvelle technique, s’appelle tomoe-nage avec l’apparition du yoko-tomoe-nage. Cette dernière forme ne trouvant sa raison d’être que dans le randori et le combat de judo. Il n’existe pas vraiment d’applications en self défense. Une analyse approfondie de cette belle technique pourra faire un beau sujet par la suite.

Il y a donc des différences techniques mais aussi d’utilisation selon que l’on se trouve dans le cadre de la (self) défense ou bien dans celui du judo.  Ne serait-ce que dans la rue, sur un sol dur, nous nous placerons sur le dos qu’en dernière analyse, lorsque la poussée est tellement forte que nous sommes déjà en déséquilibre et que l’application de techniques, comme hiza-guruma, par exemple, qui nous laisserait debout, n’est plus possible. A l’inverse, en judo les sutemis peuvent être pratiqués directement, comme toute autre technique.

Il existe aussi les « makikomi », ils sont un peu les « cousins éloignés » des sutemis. Littéralement, il s’agit de techniques d’enroulement. Le corps de Tori venant au contact de celui d’Uke pour l’entraîner avec lui jusqu’au sol. La différence essentielle réside dans le fait que pour les sutemis, il y a séparation des corps durant l’action et que pour les makikomi, c’est l’inverse, l’efficacité se réalisant dans le plus étroit contact entre les deux protagonistes (au profit de Tori, évidemment, qui emmène le corps d’Uke avec le sien dans une synergie rotative). Le point commun étant que dans les deux cas l’idée est d’entraîner l’adversaire au sol en y allant soi-même.

La maîtrise de ces « techniques de sacrifices » requiert de la patience, comme toutes les autres, mais leur parfaite exécution, qui donne l’impression d’agir sans aucun effort et même de façon un peu magique, procure une joie supérieure à celle ressentie dans la réalisation des autres projections. C’est en tout cas un sentiment que je ne pense pas être le seul à partager.

Enseignement

Parmi les trois grands axes (  enseignement, démonstrations et publications ) qui ont animé ma vie professionnelle, c’est naturellement l’enseignement qui a occupé la plus grande part de mon activité, c’est aussi celui qui m’a donné le plus de satisfactions.

Les cours dans mes différents dojos et les stages en France et à l’étranger ont été mon cœur de métier. Sans surprise, c’est au ju-jitsu que j’ai consacré le plus de temps avant le judo et la boxe française. Bien qu’ayant suivi la formation de ce que l’on appelait « l’Ecole des cadres », je revendique une pédagogie de terrain, d’instinct et d’expérience. Il y a des choses qui s’apprennent essentiellement dans l’action, pour peu que l’on possède un peu de bon sens et de sensibilité.

Dans l’enseignement,  il ne suffit pas de maitriser parfaitement un bagage technique et d’avoir suivit des cours de formation réservés aux futurs enseignants pour être capable de bien transmettre. Il faut être pourvu (entre autres) de deux vertus principales : la passion et  la capacité d’adaptation. Cela peut sembler évident, et pourtant.

La passion d’abord. Certains métiers ne peuvent s’exercer sans. L’enseignement en fait partie. Certes, il y a des professeurs qui vont donner leurs cours en  « trainant les pieds », pour différentes raisons, à ce moment là, il s’agit d’un calvaire pour l’enseignant et d’une catastrophe pour l’élève. Quelque soit la discipline, l’enseignement est un métier enthousiasmant, mais difficile, il réclame beaucoup d’énergie. Donc, il faut être animé par cette passion qui fournira l’indispensable énergie  à l’accomplissement de la mission, quelques soient les circonstances.

La capacité d’adaptation. Certes on peut choisir son public, son affectation (pas toujours), se spécialiser. Si on prend l’exemple d’un art martial, il est possible d’être amené à enseigner aussi bien à des enfants de quatre ans qu’à des adultes non sportifs. Ce  n’est pas la même approche, dans l’esprit et dans la forme.  Il y aussi les objectifs recherchés ou imposés. Si nous sommes dans le loisir, l’utilitaire ou la compétition.

Cette capacité d’adaptation est aussi valable dans un cours en fonction du ressenti dans l’application d’un programme préparé, à moins qu’il y ait un objectif bien précis à court terme.

Dans tous les cas, les premières séances seront déterminantes, d’où l’importance du premier professeur, un sujet sur lequel je suis revenu quelques fois. Si la structure a les moyens d’avoir plusieurs créneaux horaires, les cours par niveaux sont les bienvenus. Dans le cas contraire, il se peut que la personne qui commence se trouve un peu perdue et en manque de bases. Dans une maison les fondations sont aussi importantes que les éléments qui vont l’élever, sinon davantage. Certes, dans le cas où il n’y a qu’un seul atelier, les plus anciens sont au service de ceux qui font leurs premiers pas sur les tatamis, il y a des répétitions de gestes de base dont on ne doit pas faire l’économie.

Encore une fois, c’est au professeur de savoir s’adapter à toutes les situations et « d’organiser » son tatami. Quand  l’effectif va de la ceinture blanche à la ceinture noire, il est indispensable que chaque grade puisse travailler ce qui doit l’être à son niveau. C’est souvent difficile de contenter à la fois une ceinture blanche, et une ceinture noire. Éviter que la première se décourage, n’acquiert pas les fondamentaux ou pire se blesse à cause d’une technique qui demande un niveau supérieur pour l’exécuter et la subir sans danger. A l’inverse, il faudra éviter que le plus haut gradé se lasse avec l’impression de « rabâcher » (ce qui, soit dit en passant, n’est jamais inutile, mais il faut malgré tout avancer). C’est là que l’expérience est indispensable, mais aussi  le bon sens.

Lors des explications, il est inutile de se lancer dans des discours à n’en plus finir qui font relâcher l’attention, quitte à revenir à plus reprises sur les explications en question, les progrès se réalisent essentiellement en pratiquant. On peut être ébloui par une belle démonstration du professeur, mais le but reste l’acquisition.

Démontrer parfaitement une technique va créer l’envie d’en faire autant, mais pour cela il faut donner les outils.   « L’essentiel n’est pas ce que l’on enseigne, mais ce que les élèves apprennent ». André Giordan

Quelques mots à propos des grades

Dans les arts martiaux, les grades occupent une place importante. Cependant, il ne faut ni les surévaluer, ni les négliger.

Ils permettent de situer le niveau de maîtrise technique et d’ancienneté dans la pratique, mais aussi d’évaluer le parcours du pratiquant, cela en fonction de la couleur de la ceinture qu’il porte autour de la taille.

Au début, les ceintures de couleur n’existaient pas, seules la blanche, la marron et la noire « tenaient » la veste du judogi. C’est à l’initiative de Maître Kawaishi , lorsqu’au milieu du siècle dernier il prit en main le judo français, que les ceintures de couleur ont fait leur apparition. Il avait bien compris l’esprit européen (et français en particulier) toujours friand de reconnaissances à arborer.

Jigoro Kano, fondateur du judo en 1882, a souhaité hiérarchiser les valeurs pour l’accession à ces différents niveaux avec le fameux « shin-gi-tai » ! Ce qui signifie : l’esprit, la technique et le corps. L’ordre établi n’est pas le fruit du hasard. L’esprit (le mental) arrive en premier, il nous habite jusqu’à la fin de notre aventure sur terre. Ensuite, il avait placé la maîtrise technique, que l’on peut démontrer assez longtemps et enseigner tout le temps. C’est assez logiquement que le corps (le physique) arrive en dernier ; malheureusement avec l’âge même si on en prend soin, le déclin est inéluctable.

L’expérience qui m’anime me fait dire qu’il y a deux ceintures très importantes dans la vie d’un budoka : la ceinture jaune et la ceinture noire. La ceinture jaune, tout simplement parce que c’est la première et la ceinture noire parce que, malgré tout, elle représente toujours un symbole très fort. Une sorte de graal ! Cependant, il ne faut pas oublier qu’elle n’est pas une finalité, mais simplement une étape importante. Elle est une belle récompense, la preuve d’une pratique qui s’est inscrite dans la durée, synonyme de rigueur. Cependant, elle doit représenter aussi un contrat signé avec l’art martial que l’on pratique et… avec soi-même. Un engagement qui signifie, qu’à partir de son obtention, s’impose le devoir de ne  jamais abandonner les tatamis, sauf cas de force majeur.

Les grades sont des encouragements à ne pas lâcher la pratique et même à la renforcer dans la dernière ligne droite de chaque préparation.

Certains les assimilent à des « hochets » et les négligent. Il est tout à fait possible de pratiquer et de s’en passer, mais nous sommes dans un système où ils existent et nous devons l’accepter. Même si parfois on peut s’interroger légitimement sur quelques attributions cocasses.

Peut-être que leur valeur prend vraiment son sens par rapport à l’organisme ou à la personne qui les décernent. Et puis, arrivé à un certain niveau, le pratiquant ne peut pas tricher avec lui-même.

L’obtention d’un grade (mérité) est de toutes les façons une grande satisfaction pour l’ensemble des pratiquants d’arts martiaux.

Tori et Uke, amis pour la vie

Tori et Uke sont deux personnages bien connus des pratiquants d’arts martiaux et notamment des ju-jitsukas. Pour les novices et afin de faciliter les présentations, nous pourrions expliquer que dans ce couple d’inséparables, Tori incarne « le gentil » et Uke « le méchant ».

Cette définition, même si elle facilite l’identification des rôles, est un peu réductrice dans la mesure où les deux protagonistes, dans ces positions interchangeables, sont complémentaires et non pas adversaires. Sans Uke, Tori n’existe pas. Dire que c’est Tori qui conclut une action est plus juste pour signifier les implications respectives.

Une traduction littérale nous révèle que Tori est celui qui « prend » ou « choisit » et Uke celui qui « reçoit » ou « subit ». Cela semble assez explicite.

Dans la connivence qui unit ces deux personnages, il n’existe aucune rivalité, ils doivent être continuellement en quête d’une parfaite osmose.

Bien souvent c’est Tori qui attire davantage l’attention et le rôle d’Uke n’est  pas toujours considéré à sa juste valeur et parfois même il peut paraître ingrat. Or, son rôle est déterminant. C’est grâce à lui que Tori réalise ses progrès, qu’il peut ouvrir et élargir son champ des connaissances. En plus d’une parfaite maîtrise de la chute,  Uke doit être capable d’adopter toutes les situations, les postures et les réactions qui peuvent se présenter à son partenaire. Il se doit d’être d’une disponibilité corporelle totale, malléable à souhait, dans le bon sens du terme. Il doit «jouer le jeu ».

Pour parfaitement maîtriser une technique ou un enchaînement, il est indispensable de pouvoir les répéter des dizaines, des centaines, des milliers de fois. Imaginons un seul instant le faire sur un mauvais partenaire, pire encore sur un partenaire qui résiste systématiquement ! Pas de répétition, pas de progrès.

Le rôle d’Uke étant déterminant, il serait presque préférable d’être d’abord un bon Uke avant de devenir un bon Tori. Au-delà de cette constatation, somme toute assez logique, par l’intermédiaire de ce billet, c’est l’occasion de rendre hommage à ces personnages qui doivent être interchangeables et rappeler qu’entre eux il n’y a pas ni vainqueur ni vaincu, mais une victoire commune, celle de la conquête du savoir.