Les mots, pas les maux. De la parole aux actes

Dans mes articles j’évoque souvent le combat contre la violence. Ce combat est légitime et indispensable. Dans le cas contraire je ne le mènerais pas, pareil si dans notre milieu certaines dérives n’existaient pas.

Il existe plusieurs formes de violence. La plus « spectaculaire » étant la violence physique. Mais n’oublions pas la violence verbale et la violence comportementale ou relationnelle, quand, par exemple, le mépris est la réponse à de légitimes demandes ou réclamations.

La violence physique s’identifie facilement, la violence comportementale est plus sournoise.

Quant à la violence verbale, qui est notre sujet du jour, dans certains réseaux sociaux il semble qu’elle soit parvenue à son apogée. En attestent les torrents de haine qui s’y déversent, juste avec les mots. Ce n’est pas fait pour éradiquer la violence physique, au contraire. Les mots et les formules ont une importance, les paroles engendrent les actes.  Les discours positifs, souvent, donnent des résultats positifs, le contraire est aussi vrai.

Donc, aujourd’hui intéressons-nous à l’expression verbale, dans notre domaine.

« Construire un système de défense » sera préférable à « s’entraîner à détruire ». Apprendre à ne pas se faire mal, sera mieux qu’apprendre à faire mal. S’élever plutôt que d’abaisser. Contrôler ou maîtriser un agresseur en se contrôlant ou en se maîtrisant est préférable à « l’exterminer ». Surtout dans la mesure où la riposte doit être proportionnelle à l’attaque, et que parfois au moment d’un verdict rendu par un tribunal, certaines nuances peuvent engendrer des surprises aux fâcheuses conséquences.

Sans négliger le respect de toute vie humaine. Répondre à la barbarie par la barbarie n’est pas la meilleure option sur un plan éducatif. « Eliminer » quelqu’un n’est pas sans conséquences sur bien des plans.

Quand on défend sa vie, ce discours peut s’apparenter à du « baratin », mais à l’entraînement on ne défend pas sa vie, par contre on apprend sérieusement à pouvoir le faire en cas de besoin.

Lorsqu’on enseigne des techniques de défense, les mots choisis ont autant d’importance que la démonstration, la parole prime sur le geste. La preuve, le professeur peut donner des explications sur une démonstration effectuée par deux élèves. Les mots choisis et le ton donné influencent forcément l’ambiance du cours et le comportement des élèves.

Quand la violence envahit le lieu d’entraînement, on ne la combat pas, on l’entretien, pire on l’augmente, on la sanctifie.

La plupart des professeurs  respectent un enseignement emprunt d’une sagesse chère aux arts martiaux traditionnels. Ce qui n’enlève rien à une pratique efficace, bien au contraire, leur richesse technique permet de répondre à diverses situations d’agressions, elle module les réponses en fonction de la gravité de l’agression. Cela demande du temps, de la patience, des efforts, cela en vaut la peine, c’est même indispensable !

La « sagesse verbale » est un des leviers pour renverser une tendance qui ne cesse de croitre.

En matière de lutte contre la violence, il y a deux remèdes : la sanction et l’éducation. Le professeur a pour mission d’éduquer. Techniquement, physiquement et mentalement.

Techniquement et physiquement, cela s’explique aisément. Mentalement, c’est parfois une autre histoire. C’est là que le choix des mots a son importance, pour insuffler consciemment et même inconsciemment, dans l’esprit des élèves des valeurs telles que le contrôle, la volonté, le courage, le goût de l’effort, la relativisation, l’esprit d’analyse, etc.

J’insiste souvent sur l’aspect éducatif qui incombe au professeur. Il est aussi un éducateur (c’est ce qui est marqué sur sa carte professionnelle) et pas un simple destructeur, parfois on pourrait en douter.

La meilleure victoire reste celle que l’on obtient sans combattre. Ce n’est pas de la lâcheté, mais de la sagesse, du bon sens, de l’intelligence tout simplement et ça, on peut l’apprendre avec les MOTS.

Bel été à toutes et à tous.

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Atemi-waza

Cette semaine, c’est un article technique qui est proposé.

La photo qui lui sert d’illustration présente la couverture d’un livre paru au milieu des années 1980. Comme son titre l’indique, il est consacré à l’une des trois composantes du ju-jitsu, à savoir l’atemi-waza, le travail des coups. Dans cette parution sont proposés des exercices appartenant à un domaine qui doit être traité à part égale avec les deux autres familles que sont le nage-waza, le travail des projections et le katame-waza, celui des contrôles. Pour le moment ce livre n’est plus disponible, une réédition est envisagée.

Il comporte des exercices de renforcements, des méthodes d’entraînement à pratiquer seul et avec un ou plusieurs partenaires, mais aussi un enchaînement appelé les « 16 atemis ». Une suite de ripostes en atémi répondant à des attaques portées également et exclusivement avec des coups : coups de poing, de pied, de genou, etc. Une des particularités de cet enchaînement réside dans le fait de proposer des ripostes compatibles avec les autres composantes du ju-jitsu, partant du principe que l’utilisation des coups dans notre discipline n’est pas une finalité, mais une manière d’y parvenir, puisqu’ils servent essentiellement à « fixer » et/ou à déséquilibrer l’adversaire. Cela implique plusieurs recommandations.

D’abord que la « garde » (la posture) soit très naturelle pour donner la possibilité d’enchaîner chaque technique avec une projection ou un contrôle en clef, ou étranglement. Une garde trop basse ralentira forcément les liaisons et interdira bon nombre de grandes projections. Et puis tout simplement nous devons être à même de réagir très vite à partir d’une position naturelle, celle de la vie de « tous les jours ». Ensuite, il est important de ne pas mettre toute l’énergie dans « le coup », puisqu’il n’est pas une finalité, celle-ci étant obtenue par une technique appartenant à l’une des deux autres familles.

Lors de l’exécution et des répétitions il faudra respecter une autre particularité, qui existe déjà dans le goshin-jitsu, celle de changer de place entre chaque technique, ce qui permet de se remettre à distance de façon harmonieuse. Certaines attaques et ripostes de l’enchaînement sont d’ailleurs inspirées du célèbre kata.

A la toute fin du livre sont proposés quatre exemples d’enchaînement avec clef, projection et étranglement, toujours dans le but d’illustrer la compatibilité entre les différentes composantes du ju-jitsu.

Pour résumer cet article et en guise de conclusion, j’insisterai sur le fait que l’atemi-waza a toujours appartenu au ju-jitsu (nous le trouvons même dans un ouvrage réalisé par le kodokan), qu’à ce titre il ne doit pas être négligé et même valorisé, et surtout travaillé dans des attitudes compatibles avec les autres composantes de notre discipline. Enfin, on apprend ces techniques de coups aussi bien pour se défendre que pour apprendre à s’en défendre, cela semble logique.

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Duel !

kodokan-atemi-wazaDans les années 1960, la bataille faisait rage entre les deux principaux arts martiaux de l’époque et jusque dans les cours de récréation une question revenait fréquemment : «Quel est le plus fort : le judo ou le karaté ? ». A l’heure actuelle cette question saugrenue existe toujours, sauf qu’il y a pléthore d’arts (plus ou moins) martiaux et autres disciplines de combat. La question n’a que peu de sens, en effet, puisque avant tout cela dépend de « qui pratique quoi ?». Sans aucun doute Teddy Riner serait bon dans n’importe quelle discipline de combat ! En plus de qualités techniques et physiques, un combattant de haut-niveau (judoka, boxeur, etc.) possède ce que l’on appelle le « sens du combat ». Il se transpose aussi bien dans le corps à corps que dans le combat à distance. Esquiver un crochet ou empêcher l’adversaire d’imposer son kumi-kata, porter un direct ou réussir à placer sa main sur le judogi, être dans le bon « timing » pour entrer une attaque en «  poing-pied » ou une tentative de projection, porter le contre au bon moment, autant d’exemples qui demandent des qualités similaires et transposables. Quant au mental, ce que l’on peut appeler populairement « l’œil du tigre », il est identique quel que soit l’affrontement. Comme pour le choix d’un art martial, pour lequel le professeur importe autant que l’art auquel on va se consacrer, l’efficacité dépendra aussi et surtout du combattant.

La rivalité entre judo et karaté n’existait pas uniquement sur le plan technique, elle se plaçait aussi sur un plan « comptable ». Tout au début des années 1970 le judo se développait considérablement sur le plan sportif ; il augmentait de façon importante le nombre de ses licenciés, notamment chez les enfants ; sa valeur éducative et – il faut l’avouer – son coté « pratique » en étaient les principales raisons. En même temps, il perdait de sa magie, il n’était plus l’art qui permettait au petit de faire tomber le grand. Avec l’instauration des catégories de poids, les petits se retrouvaient entre eux, les grands aussi. En privilégiant l’aspect sportif, le judo se défaisait de son aspect utilitaire. Dans les dojos, le ju-jitsu, que certains appelaient aussi « la self », n’était plus enseigné et encore moins l’atemiwaza, qui, à l’origine, faisait partie intégrante du patrimoine, tel que le concevait son fondateur, Jigoro Kano, comme en témoigne l’image qui accompagne ce billet. De ce fait, de plus en plus d’adultes se tournaient en nombre vers cette discipline qui venait d’arriver en France et qui utilisait l’art du travail à distance, son efficacité semblait redoutable, il s’agissait du karaté. C’est pour cette raison que la remise en valeur du ju-jitsu (au sein de la fédération de judo), à l’initiative de mon père Bernard Pariset, devait inévitablement passer par la réhabilitation du secteur délaissé qu’était celui de l’atemi-waza. Cela commençait par le nom. C’est ainsi que celui d’atemi-ju-jitsu a vu le jour. Sur le plan purement technique les atémis (les coups) avaient été proposés en compléments du travail debout et du travail au sol (compatibles dans l’esprit et dans la forme). Il permettait à l’enseignant qui souhaitait conserver les adultes non intéressés par la compétition de lui faciliter la tâche en transposant, tel un calque, des techniques de défense sur le programme de la méthode française d’enseignent du judo de l’époque. Cela ne demandait pas un grand effort de remise à niveau, ceux qui n’avaient pas hésité à le faire ne le regrettaient pas, de très belles sections ju-jitsu voyaient le jour, regroupant un nombre impressionnant d’adhérents. Avec cette initiative il n’était pas question de couper l’herbe sous le pied d’une discipline respectable comme le karaté, mais tout simplement de rendre au ju-jitsu ce qui lui appartenait en réhabilitant l’atemi-waza. Vingt cinq années plus tard, en 1995, la fédération délégataire emportait le ju-jitsu sur d’autres voies (pas celles de la souplesse, en tout cas !). Peut-être que cela était volontaire, par crainte d’une remise en valeur trop importante et qui aurait pu – notamment – apporter à la toute première question (judo ou karaté, quel est le plus « fort » ?) la réponse suivante : « le ju-jitsu, puisqu’il possède les techniques des deux » !

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