J comme JU (souplesse)

Nous arrivons à la lettre J de mon dictionnaire : J comme Ju-Jitsu et Judo, mais tout simplement comme Ju, « la souplesse ».

Il s’agit là de souplesse comportementale, d’un état d’esprit, bien plus que de souplesse physique ; qualité que l’on ne reniera pas, bien au contraire. C’est cette souplesse comportementale qui donne son originalité et sa valeur ajoutée à nos deux arts martiaux, aussi bien en matière d’efficacité dans d’éventuels affrontements qu’en matière d’éduction, à la condition que ces disciplines soient enseignées dans l’esprit qui était celui du fondateur.

De la « technique (ou l’art) de la souplesse » que représentait le ju-jitsu, Jigoro Kano a voulu élargir le champ d’action de l’art martial avec le judo « voie de la souplesse » (jitsu = technique, art ; do = voie). Il souhaitait ainsi démontrer que cette « souplesse » était aussi bien un principe à adopter en opposition lors d’un affrontement physique, que dans le cadre des relations sociétales, professionnelles, familiales ; bref il souhaitait un quotidien rendu harmonieux grâce à l’application de ce précepte. Il ne s’agissait plus d’un simple principe de combat, mais aussi d’une règle de vie.

Ne pas s’opposer à la force brutale en pliant, évitant ainsi de rompre, comme dans « Le chêne et le roseau » est un principe intelligent, mais faire en sorte que cette force, cette puissance de l’adversaire se retourne contre lui, l’est encore davantage ; cela ne relève pas du miracle mais d’une technique, et même d’une technologie de pointe. L’appliquer dans les relations humaines est parfois plus difficile, et pourtant n’est-ce pas essentiel de faire en sorte d’anticiper pour « gérer » au mieux d’éventuels désaccords de façon à éviter les conséquences toujours désastreuses d’un conflit ? C’est en cela que cette souplesse d’esprit est d’une inestimable valeur.

Cette souplesse comportementale ne doit pas être considérée comme un signe de faiblesse, bien au contraire ; n’y a-t-il pas plus belle victoire que celle remportée sans combattre, sans blessure physique ni mentale ?

Jigoro Kano n’hésitait pas non plus à évoquer l’utilité de ce principe dans le cadre professionnel, une sorte de « gagnant/gagnant ». N’y a-t-il pas meilleur accord que celui qui satisfait les deux parties ?  Lorsque le plus fort écrase le plus faible, dans la rue, dans les conflits familiaux, dans le monde du travail : est-ce vraiment une heureuse issue ?

L’acquisition de cette souplesse comportementale ne peut se faire que par l’éducation, la transmission. Cela nous ramène une fois de plus au rôle capital de l’enseignant. Dans les arts martiaux, celui-ci ne doit pas se limiter à être un distributeur de techniques, ni (quant il s’agit de l’aspect sportif) à celui d’un « brailleur » le week-end sur les bords d’un tatami de compétition. Le professeur remplira son rôle par l’apprentissage des techniques de combat, auxquelles seront attachées les valeurs morales inculquées de la façon la plus naturelle possible, en premier lieu par l’exemplarité.

Cette souplesse, ce « Ju » qui différencie l’art martial de la simple activité physique, n’est-il pas aussi et même tout simplement « une forme de philosophie » ? Cette philosophie qui doit permettre de conduire son existence avec sagesse, pour la quête du bien-être… du bonheur, tout simplement.

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I comme Ippon Seoi Nage…retour du dictionnaire

Retour au dictionnaire et à un article plus technique, avec la lettre I comme Ippon Seoi Nage.

Mon but n’est pas de développer une étude approfondie, mais d’expliquer simplement les raisons de mon engouement pour cette projection qui est l’une des plus emblématiques du ju-jitsu et du judo. Elle est utilisée aussi bien en self-défense qu’en compétition. J’ai une affection particulière pour elle, et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, c’est une des premières projections que l’on apprend, bien qu’elle ne se réalise pas aussi facilement que l’on puisse l’imaginer lorsque nous la regardons exécutée par un spécialiste. Mais, répondant à des principes naturels, si elle est bien expliquée, son apprentissage se fait assez rapidement ; elle offre une des premières satisfactions aux nouveaux étudiants. De plus, Tori (celui qui exécute), même s’il est encore balbutiant, ne rencontre pas de difficultés particulières pour bien retenir Uke (celui qui subit) dans la chute, ce qui est rassurant et sécurisant. L’aspect spectaculaire ne retire rien au plaisir de la réaliser ou de la voir bien exécutée.

Son principe de base consiste tout simplement à faire passer le partenaire « par-dessus nous », en se servant de son déséquilibre avant. Celui-ci étant obtenu de différentes manières, selon que l’on se situe en ju-jitsu ou en judo. Comme dans toutes les techniques il existe des variantes, elles sont fonction du gabarit, mais aussi de l’influence du professeur.

En ju-jitsu, elle est utilisée aussi bien sur des attaques venant de face, comme un coup « en marteau » en direction de la tête, que sur des saisies arrière, à la gorge ou au dessus des bras. En judo le nombre des opportunités, combinaisons, contres, liaisons debout-sol est colossal.

Ippon Seoi Nage, en règle générale, est pratiqué par des plus petits sur des plus grands, puisque passer sous le centre de gravité est la première des conditions. Bien exécutée, cette projection ne demande pas d’efforts physiques particuliers, ce qui par ailleurs doit être la condition de toutes les techniques, puisqu’à l’origine la non-opposition, l’utilisation de la force de l’adversaire et l’utilisation la plus rationnelle de notre propre énergie, sont les fondements du ju-jitsu. On pourrait facilement prendre Ippon Seoi Nage comme modèle pour expliquer des principes parfois négligés et même oubliés.

Enfin, si j’apprécie particulièrement cette technique c’est aussi parce qu’elle était l’un des redoutables « spéciaux » de mon père qui, lors de ses exploits sportifs, a « terrassé » plus d’un « grand » grâce à elle. Par atavisme, mimétisme et avec un excellent apprentissage, elle est devenue l’une de mes projections favorites.

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H comme Honneur…(reprise du dictionnaire)

Reprise du « dictionnaire » (et rediffusion) avec la lettre H. H comme Honneur.

Pour les samouraïs il s’agissait d’une valeur qui n’avait pas de prix ; presque systématiquement sa perte les conduisait à l’acte ultime, le hara-kiri ou seppuku. Il est vrai que leur rapport à la mort était différent de celui qui est le nôtre. Il n’empêche, l’honneur est une des plus fortes valeurs que nous nous devons de défendre, à fortiori pour un pratiquant d’arts martiaux. Elle est inestimable et ne pas la respecter, surtout pour un éducateur, c’est commettre une faute inqualifiable.

Même dans notre beau pays, et jusqu’au siècle dernier, lorsque l’on estimait qu’il était bafoué, il était fréquent (et autorisé) de demander réparation à l’occasion d’un duel à l’épée ou au pistolet.

La définition qu’en donne le Larousse est la suivante : « Ensemble de principes qui incitent à mériter l’estime de soi et des autres ». Quels sont ces principes ? Et quelle est l’estime la plus précieuse, entre celle que l’on a de soi et celle que les autres nous portent ?

Les principes, d’abord. Dans le code moral du judo-ju-jitsu affiché dans tous les dojos (mais pas toujours appliqué) on peut lire à propos de l’honneur : « C’est être fidèle à la parole donnée ». Cela m’inspire trois remarques. D’abord l’honneur devrait figurer en première place et non pas en quatrième, comme c’est le cas, ensuite il pourrait tout simplement s’appeler le Code d’honneur, il existe bien le Code d’honneur des samouraïs ! Enfin, même si la fidélité peut englober un ensemble de principes, on peut être plus généreux dans l’énumération des qualités qui correspondent à l’idée que l’on se fait de l’honneur. L’honneur, c’est aussi le respect des autres (ceux qui le mérite), de son métier, de ses convictions, du gout de l’effort et de la rigueur. Parfois il s’agit d’un dépassement de soi lorsque cela est nécessaire, notamment face à l’adversité. Effectivement, c’est aussi le respect de la parole donnée, un comportement dans lequel sont exclues lâcheté et traitrise (ce qui n’est pas facile pour certains). .

Il ne faut pas confondre honneur et héroïsme. Se montrer héroïque mérite les honneurs, mais le bon accomplissement de notre vie quotidienne, sans faillir, est aussi « tout à notre honneur », comme la réalisation d’une mission qui nous a été confiée.

L’honneur, c’est tout simplement pouvoir se regarder dans la glace en toute sérénité. Personne ne peut revendiquer la perfection, tout le monde a sa part d’ombre et ses défauts, mais il y a des actes et des agissements qui font baisser le front.

Ensuite, entre l’estime que l’on a de soi et celle des autres vis-à-vis de nous, quelle est la plus importante ? Sans hésiter, celle envers soi-même. Traiter avec sa propre conscience est difficile. Quant à l’estime des autres, cela dépend de « qui sont les autres » ; une simple remarque d’une personne que l’on respecte est mille fois plus importante que les déblatérations d’un individu que l’on méprise et/ou qui n’a rien accompli de convenable, ce qui va souvent de paire.

Pour conclure, je pense que la défense de son honneur ou de celle d’une personne que l’on aime, que l’on admire et que l’on respecte est un devoir.

Le but de cet article est de donner en quelques lignes mon avis sur une valeur qui mérite davantage de développement, ce qui ne manquera pas d’être fait à l’occasion de la parution future – du moins je l’espère – de « mon dictionnaire (complet) des arts martiaux ».

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L’école du combat sans arme…

Une petite pause dans la présentation du dictionnaire avec une courte histoire extraite, une fois de plus, du recueil « Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ». L’art de vaincre sans combattre. L’intelligence au service de la victoire.   :

« Le célèbre Maître Tsukahara Bokuden traversait le lac Biwa sur un radeau avec d’autres voyageurs. Parmi eux, il y avait un samouraï extrêmement prétentieux qui n’arrêtait pas de vanter ses exploits et sa maitrise du sabre. A l’écouter, il était le champion toutes catégories du Japon. C’est ce que semblaient croire tous les autres voyageurs qui l’écoutaient avec une admiration mêlée de crainte. Tous ? Pas vraiment, car Bokuden restait à l’écart et ne paraissait pas le moins du monde gober toutes ces sornettes. Le samouraï s’en aperçut et, vexé, il s’approcha de Bokuden pour lui dire : «Toi aussi tu portes une paire de sabres. Si tu es samouraï, pourquoi ne dis-tu pas un mot » ? Budoken répondit calmement :

-« Je ne suis pas concerné par tes propos. Mon art est différent du tien. Il consiste, non pas à vaincre les autres, mais à ne pas être vaincu. »

Le samouraï se gratta le crâne et demanda : –

– « Mais alors, quelle est ton école ? »

– « C’est l’école du combat sans armes. »

– « Mais dans ce cas, pourquoi portes-tu des sabres ?

– « Cela me demande de rester maître de moi pour ne pas répondre aux provocations. C’est un sacré défi. »

Exaspéré, le samouraï continua :

-« Et tu penses vraiment pouvoir combattre avec moi sans sabre ? »

– « Pourquoi pas ? Il est même possible que je gagne ! »

Hors de lui, le samouraï cria au passeur de ramer vers le rivage le plus proche, mais Bukuden suggéra qu’il serait préférable d’aller sur une île, loin de toute habitation, pour ne pas provoquer d’attroupement et être plus tranquille. Le samouraï accepta. Quand le radeau atteignit une île inhabitée, le samouraï sauta à terre, dégaina son sabre, prêt au combat.

Budoken enleva soigneusement ses deux sabres, les tendit au passeur et s’élança pour sauter à terre, quand, soudain, il saisit la perche du batelier, puis dégagea rapidement le radeau pour le pousser dans le courant.

Budoken se retourna alors vers le samouraï qui gesticulait sur l’île déserte et il lui cria – « Tu vois, c’est cela, vaincre sans arme ! »

D comme DOJO (2ème partie) Le Central (ou dojo fédéral)

« Voici le deuxième volet concernant la lettre D de mon dictionnaire des arts martiaux. J’ai choisi le mot       «dojo ». Comment pouvait-il en être différemment, dans la mesure où il s’agit de lieux où j’ai du passer le plus de temps ? Dans cette série d’articles consacrés à cette quatrième lettre de l’alphabet,  j’évoque ceux qui, par leur histoire et la puissance émotionnelle qu’ils ont exercé sur moi, ont marqué pour toujours ma mémoire.

Aujourd’hui, c’est du « Central » dont il est question.

Nous sommes au tout début des années 1970, les entraînements de l’équipe de France de judo sont loin de bénéficier des infrastructures actuelles ; les judokas de l’élite s’entraînent principalement dans leur club respectif et quelques rassemblements se font dans le tout petit dojo de ce qui s’appelait l’INS (Institut nationale des sports) avant de devenir l’INSEP (Institut nationale du sport, de l’expertise et de la performance). Sous la direction d’Henri Courtine le judo français prend un nouvel envol. Parmi les mesures indispensables il fallait mettre à la disposition des champions – et futurs champions – un « site » qui permettrait de les rassembler régulièrement pour des entraînements à la hauteur des ambitions nationales.

Dans le Xème arrondissement de Paris un très vaste local appelé « Le Central » était disponible. Cet endroit, fermé en 1968, avait ouvert ses portes au début des années 1920 ; un ancien hangar avait été transformé en salle de sports. Ce sont principalement des cours et des combats de boxe anglaise qui s’y déroulaient. Il y eut ensuite l’époque du catch, avec des combats mémorables durant lesquelles « l’Ange Blanc » terrassait le « Bourreau de Béthune », ou le « Boucher de la Villette », tout un programme !

Situé au 57 de la rue du Faubourg Saint-Denis dans un quartier populaire de Paris, qui ressemblait  à celui de la Rue des Martyrs (se reporter à la première partie du dictionnaire consacré à la lettre D comme Dojo) le Central a donc été repris quelques mois après sa fermeture par la fédération de judo qui pouvait ainsi offrir aux membres de l’équipe nationale un lieu d’entraînement qui, par sa surface, correspondait aux attentes. L’expérience n’a pas duré très longtemps, jusqu’en 1975, je crois. Il était compliqué d’y accéder pour des raisons de circulation, de stationnement, et puis la vétusté du lieu imposait beaucoup d’entretien. Avant d’intégrer définitivement l’INSEP, les entraînements de l’équipe de France ont fait un crochet de quelques mois au Cercle Hoche dans le VIIIème arrondissement ; cette expérience ne s’est pas inscrite dans la durée.

Il n’y a pas que l’attachement que j’avais pour ce quartier populaire devenu maintenant très « bobo », qui anime mes souvenirs. A cette époque les entraînements de l’équipe nationale étaient ouverts à tous les licenciés à partir de la ceinture marron. Il y avait notamment une séance chaque mercredi soir durant laquelle pouvaient s’affronter des anonymes aux champions de l’époque qui s’appelaient Coche, Auffray, Rougé, Mounier, Brondani, Vial, Feist, Noris, Clément, et bien d’autres encore. Les meilleures équipes du Monde ont foulé ce tatami, un des premiers, si ce n’est le premier, a être monté sur ressorts ! D’éminentes personnalités (champions, experts, etc.) sont venues faire profiter, à des centaines de judokas, de leur expérience et de leurs connaissances.
Etant affecté au Bataillon de Joinville (basé à Fontainebleau, comme son nom ne l’indique pas) pendant mon service national, avec l’équipe militaire nous nous y rendions quatre fois par semaine. Autre avantage personnel, après mes douze mois d’armée, comme j’habitais un logement contigu au dojo de la rue des Martyrs, dans l’arrondissement voisin, je pouvais me rendre à pied aux entraînements ; pour un parisien, ce n’est pas négligeable. Cela me donnait l’occasion de traverser plusieurs fois par semaine une partie de ces deux arrondissements que j’appréciais. Et puis ce local chargé d’histoire avait une architecture impressionnante (qui ressemblait étrangement à celle du dojo de la Rue des Martyrs).

Enfin, et c’est quand même pour moi l’essentiel, j’y ai appris énormément et je m’y suis renforcé considérablement physiquement et mentalement.

Aujourd’hui, dans ce quartier en pleine mutation, c’est une école de théâtre qui occupe les lieux.

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C comme Henri Courtine…

C comme Henri Courtine

Nous en sommes à la troisième lettre de mon dictionnaire des arts martiaux. Dictionnaire que j’ai le plaisir de vous proposer à nouveau.

Une bonne façon de faire passer ce temps long, tout du moins, je l’espère ! A ce propos,  si mes comptes sont exacts, à raison d’une lettre par jour, nous finirons l’alphabet deux jours après notre « libération ».

Aujourd’hui, c’est donc la lettre C que j’aborde : C comme Henri Courtine.

Ce choix s’impose à moi, sans la moindre des hésitations. Parmi les personnalités qui auront marqué mon existence, Monsieur Courtine arrive en deuxième position, juste après mon père. Ils étaient d’ailleurs les meilleurs amis dans la vie et les meilleurs adversaires sur les tatamis le temps de leurs carrières de compétiteurs. Il est difficile d’évoquer l’un sans l’autre. Avec dans la vie des personnalités aussi différentes que complémentaires et sur les tatamis des styles qui l’étaient tout autant, ils ont marqué le judo français.

Retracer l’exceptionnelle carrière de Monsieur Courtine se fera aisément par l’intermédiaire d’Internet ; au travers de ces lignes mon intention est de dresser un portrait dans lequel seront évoqués les sentiments personnels que j’éprouve pour une personne à laquelle je voue admiration et respect. La reconnaissance étant une denrée assez rare, je ne m’en prive pas.

On peut quand même brièvement rappeler l’impressionnant parcours de cet homme. D’abord sur le plan sportif ; il a été champion de France toutes catégories, champion d’Europe, demi-finaliste au 1er championnat du Monde toutes catégories à Tokyo en 1956. Ensuite durant une exceptionnelle carrière de dirigeant, il a été entraîneur national, Directeur technique national puis Directeur de la FFJDA, Directeur sportif de la Fédération internationale de judo et Directeur du haut-niveau au Comité National Olympique Français. Il a été nommé au grade exceptionnel de 10ème dan en 2008 ce qui fait de lui le plus haut gradé français. Avec mon père ils ont été les premiers 6ème dan en 1968, il en fût de même pour chaque dan jusqu’au 9ème qui leur avait été décerné en 1994 (dix ans avant la disparition de mon père).

Etant forcément mon aîné, mais aussi vis-à-vis de la hiérarchie et surtout par rapport au respect qui est le mien à son égard, le mot amitié me semble quelque peu familier. Pourtant, grâce à la complicité qui le liait à mon père, j’ai eu la chance de très bien le connaître, mais pour moi il est Monsieur Courtine, bien qu’il soit aussi un peu un « père spirituel ».

Les qualificatifs concernant cet homme au charisme exceptionnel et qui me viennent à l’esprit sont nombreux. L’intelligence, bien sûr, l’élégance – dans la vie et sur les tatamis -, la rigueur avec lui-même et envers les autres, le travail, le courage et un redoutable esprit d’organisation. Il est pourvu d’un bon sens qui évite toute perte de temps et, justement, d’une capacité d’analyse et d’action aussi rapide qu’étaient ses balayages sur les tatamis. C’est aussi une personne pleine d’humour, et un affectif qui a su préserver sa vie personnelle.

Depuis ma plus petite enfance, j’ai eu la chance de le côtoyer à de nombreuses reprises dans le cadre du judo, mais pas uniquement ! La première fois c’était au célèbre « Camp du Golf bleu » à Beauvallon-sur-Mer, dans le Var. J’avais trois ans. Avec mon père, il dirigeait le stage international de judo durant lequel, pendant deux mois, les meilleurs judokas mondiaux se retrouvaient avec leur famille pour des sessions d’une semaine, ou plus, dans ce centre qui était également un lieu de villégiature. Les familles Courtine et Pariset s’y installaient pour tout l’été et cela jusqu’à ma préadolescence. Nous prenions les repas ensemble et l’hébergement se faisait dans des paillottes, presque mitoyennes, au confort pour le moins spartiate ; toutes ces conditions de promiscuité créaient des liens privilégiés.

Ensuite, j’ai effectué mon entrée dans le secondaire à l’Ecole Saint-Michel de Picpus dans le XIIème arrondissement de Paris ; parmi les activités sportives proposées, il y avait le judo et le professeur était…Henri Courtine. C’est sous son contrôle que j’ai obtenu ma ceinture marron. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir sur son passeport sportif les ceintures de couleurs signées par Bernard Pariset et Henri Courtine. Ils étaient aussi d’excellents professeurs à la pédagogie innée.

Plus tard, et durant plusieurs saisons j’ai été licencié au prestigieux Stade Français; il occupait la présidence de la section judo  et entre autres bons souvenirs qui ont marqué cette période du début des années 1980, il y a celui d’une finale aux championnats de France par équipes « excellence ».

Enfin, alors qu’il était directeur de la FFJDA, j’ai participé à différents travaux (stages, supports techniques, commissions techniques, etc.) pour la réhabilitation du ju-jitsu. Il avait donné « carte blanche » à mon père lorsque celui-ci, au début des années 1970, lui avait exposé le projet de la mise en place d’une méthode de self-défense (l’atemi ju-jitsu), en parallèle de la progression française de judo. Initiative qui avait pour objectif d’ajouter une corde à l’arc des professeurs. On connait malheureusement la suite qui (n’) a (pas) été donnée à cette entreprise, mais ceci est une autre histoire.

Aujourd’hui, tout en restant très attentif à ce qui se passe dans le monde du judo, il prend une retraite que l’on ne peut qualifier que de « méritée », sur les bords de la Méditerranée, dans le magnifique département du Var, une région pour laquelle, lui et moi vouons la même passion.

Au travers de ces quelques lignes, je suis très fier d’exposer l’admiration qui est la mienne à son égard. Il y a des hommes qui marquent l’histoire, mais qui par leur exemplarité occupent aussi une part importante de votre vie.

eric@pariset.net   

Dans les mains du destin…

Pour se distraire un petit peu – et réfléchir un peu aussi – dans cette période difficile,  je propose une histoire extraite du livre  » Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon ».

Un grand général, du nom de Nobunaga, avait pris la décision d’attaquer l’ennemi, bien que ses troupes fussent largement inférieures en nombre. Lui-même était sûr de vaincre, mais ses hommes, eux, n’y croyaient pas beaucoup. En chemin, Nobunaga s’arrêta devant un sanctuaire Shinto et déclara à ses guerriers : « Je vais me recueillir et demander l’aide des Kami*. Ensuite, je jetterai une pièce. Si c’est face, nous vaincrons mais si c’est pile nous perdrons. Nous sommes entre les mains du destin ». S’étant recueilli quelques instants, Nobunaga sortit du temple et jeta une pièce. Ce fut face. Le moral des troupes se regonfla à bloc. Les guerriers, fermement convaincus d’être victorieux, combattirent avec une si extraordinaire intrépidité qu’ils gagnèrent rapidement la bataille.

Après la victoire, l’aide de camps du général lui dit : « Personne ne peut changer le destin. Cette victoire en est une nouvelle preuve. – Qui sait ? répondit Nobunaga en lui montrant une pièce…truquée, qui avait une face de chaque coté. »    

*Un kami est une divinité ou un esprit vénéré dans la religion shintoiste

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Carnets d’espoir, la suite…

Jeudi 19 mars

C’est avec plaisir que je constate que beaucoup d’entre vous ont apprécié mon précédent article. Cependant, je ne me permets pas de donner des conseils, il s’agit juste de formuler quelques ressentis personnels. Si cela peut aider, j’en suis ravi.
Aujourd’hui je continue un peu dans l’expression de mes sentiments !
Bien que soit mis en place un dispositif exceptionnel et une mobilisation générale (et peut-être à cause de) l’angoisse et l’inquiétude sont palpables ! Dans mes précédents articles j’ai évoqué la nécessité de ne pas céder à une panique compréhensible. Il faut faire confiance, soutenir et rendre hommage à tous ceux qui nous protègent et nous soignent.
Cependant cette situation inédite et douloureuse engendre de nouvelles réactions qui sont parfois contradictoires.
De la part d’une majorité de gens on sent une indéniable solidarité , dans d’autres cas c’est une certaine forme d’agressivité qui s’échappe.
La solidarité sous diverses formes émanant de différents secteurs et envers les plus fragiles est indéniable, elle l’est aussi à l’attention de l’ensemble du personnel hospitalier. Leur mission est titanesque, surtout dans ce secteur déjà sinistré depuis longtemps !
Pour ce qui est de l’agressivité, il s’agit plus exactement de craintes (légitimes), mais qui  prennent parfois un visage insolite.
Rien que dans les magasins d’alimentation, si par malheur une personne ne respecte pas l’éloignement imposé, les regards ce font davantage menaçants qu’informatifs. Et puis toujours dans ce qui reste des lieux de rencontre (par obligation), l’ambiance n’est pas la même qu’à l’accoutumée. L’impression est forte que faire ses achats relève davantage de la survie que de la nécessité.
Certes c’est une double angoisse qui nous étreint. Celle de la période inédite que nous vivons et dont nous ignorons la durée . Et puis il a l’angoisse liée à la période qui suivra, en ne sachant absolument pas dans quelle état nous l’aborderons.
Essayons de « prendre » les problèmes les uns après les autres (comme disent certains footballeurs après un match).
Pour remonter un moral vacillant on peut se projeter quelques semaines plus tard (le plus tôt possible) et imaginer quel sera notre premier acte, une fois le cauchemar passé et la délivrance acquise !
Si ce premier acte n’est pas indiscret, vous pouvez le partager.
A très bientôt !

eric@pariset.net

Carnet d’espoirs

Dans ces jours particuliers durant lesquels nous vivons une situation qui l’est tout autant, j’ai pensé tenir un petit carnet à l’aide d’articles dans lesquels je ferai par de mes ressentis. Ces articles sont aussi disponibles sur Facebook, sur ma page personnelle (Eric Pariset) ou sur celle du club (Club Jujitsu Eric Pariset), ou encore sur les deux.

Aujourd’hui, je vous propose les trois premiers.

Le jour d’après (lundi 16 mars)

Ce matin régnait dans la capitale une curieuse ambiance. Un calme oppressant et angoissant habitait la ville.
Loin de celui que nous offrent les périodes de congés, durant lesquels les rues presque désertes ont un parfum de légèreté.
Ambiance différente aussi de celle des lendemains d’horribles attentats, comme celui du Bataclan en 2015, où nous avions plutôt la sensation d’un chaos créé par un ennemi qui n’était pas totalement inconnu et contre lequel, malgré tout, nous possédions des moyens de riposte.
Aujourd’hui il s’agissait d’une sensation inédite au travers de laquelle régnait l’inconnu et le trouble. Des masques sur le visage de gens marchant tête baissée allant allonger d’interminables queues devant les supérettes et les pharmacies et dans lesquelles la distance conseillée peinait à être respectée.
Et puis, toutes ces vitrines éteintes, ces grilles tirées, ces rideaux baissés et ces terrasses de bistrots rangées.
La sidération et l’inquiétude étaient palpables.
Il fallait être fort mentalement pour conserver un invincible espoir. Cependant il le faut !

Comment ? (Mardi 17 mars)

Avant toute chose, c’est d’un esprit combatif et d’un moral d’acier dont nous avons besoin pour ne pas nous laisser submerger par un panique malfaisante.
Malgré tout,  comment en sommes nous arrivé là ?
Qui aurait pu imaginer que de telles mesures (indispensables) nous soient imposées ? Il ne s’agit pas de réécrire la fable de La Fontaine (les animaux malades de la peste) dans laquelle les plus forts font du plus faible le coupable, mais n’est-ce pas toujours les mêmes, qui deviennent les principales victimes du comportement de certains puissants ?
Pour le moment la priorité n’est pas de rechercher les coupables, mais de sortir d’une effroyable situation inédite.
Ensuite, il faudra inévitablement tirer les leçons et se livrer à une introspection relativement approfondie afin de ne pas plonger à nouveau dans un certain mode de vie qui nous a été proposé (parfois imposé). Ne plus être les « baudets » de la fable.
D’autant plus que nous ne sommes qu’au début d’une période de confinement dont nous ne mesurons ni les difficultés quotidiennes engendrées tout au long des semaines qui viennent ni, pour beaucoup, les effets  physiques et psychologiques. Sans évoquer une crise économique aux conséquences sociales inquiétantes.
Certes, nous nous en sortirons, nous vaincrons et nous rebâtirions, mais dans combien de temps et dans quel état ? Plus forts, selon la formule : «ce qui ne me détruit pas… » il faut l’espérer !
Sang-froid, confiance, volonté et solidarité sont plus que jamais des valeurs qui ne doivent jamais nous quitter.

Tenir le coup (mercredi 18 mars )

Certains se demandent comment ils vont « tenir le coup ». Certes, il y a plus difficile et plus grave que de rester « à la maison » (et puis, c’est pour une cause essentielle) mais peut-être dans des circonstances différentes et sur une durée plus courte et déterminée. Il faudrait éviter que ce confinement engendre d’autres conséquences.
Nous n’avons pas d’autres choix, même si la privation du droit de sortir, donc de libertés, sans avoir commis d’acte répréhensible, est parfois compliqué à accepter.
Il nous faut faire preuve de discipline, de réflexion et d’organisation. Faire le « dos rond », le temps que passe la tempête !
Je ne suis pas psychologue, par conséquent je ne donnerais pas de conseils, je me contenterai d’évoquer de simples sensations et sentiments personnels.
Le confinement n’est pas facile à vivre, surtout pour les personnes seules et qui sont déjà fragilisées psychologiquement. Le manque d’activité physique et sociale, à fortiori pour ceux qui y sont habitués, peut s’avérer très néfaste. Nous devons chercher et trouver des compensations.
D’abord et apparemment, il est toujours possible de sortir seul pour faire une activité physique (encore faut-il posséder les capacités nécessaires). Footing et vélo pour tous ; pour les jujitsukas et autres budokas, travail des coups en shadow, uchi-komi dans le vide, etc. Si on a un peu de place chez soi,  des « pompes », des abdos et quelques étirements feront le plus grand bien. Regarder des vidéos et se replonger dans des bouquins techniques que l’on avaient délaissés au profit des images, ne peut qu’être bénéfique. Et puis, c’est peut être le moment de mettre au repos une articulation douloureuse ou un muscle meurtri.
Plus généralement, s’adonner à des activités dont nous sommes privés d’habitude par manque de temps : lecture, dessin, écriture ; s’occuper de son intérieur pour le rendre encore plus agréable. Et puis, ne pas céder à la facilité ; s’imposer une rigueur en respectant un rythme sain. Ne pas se lever trop tard, et même si on ne sort pas, se vêtir correctement, essayer d’adopter de nouvelles habitudes, elles rassurent ! Ce sera aussi l’occasion de se reposer, mais il faudra éviter les « journées pyjama » vautré sur le canapé devant Netflix (que je ne regarde jamais) ! Éviter les jeux vidéos qui participent en ce moment à la saturation d’Internet.
Avec ce rythme particulier, où chaque journée ressemblera  à la précédente et à la suivante, il est  indispensable de savoir tout simplement quel jour nous sommes ! Il faudra faire la distinction entre la semaine et le week-end.
Enfin, il ne sera peut-être pas bon d’être abreuvé en permanence d’infos en boucle sur le même sujet et qui sont d’une anxiété ahurissante. Être informé bien sûr, intoxiqué sûrement pas ! C’est aussi le moment de s’abreuver de musique et de chansons (pas trop tristes).
Et puis, communiquer avec des amis et des proches est indispensable ; nous possédons suffisamment de moyens pour cela !
Ces quelques lignes ne sont qu’une humble participation pour essayer d’éviter la généralisation d’un mal-être rampant.
Enfin, un jour viendra où tout ira mieux !

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Kawaishi Mikinosuke

Kawaishi fait partie des personnages qui, dans leur domaine, marquent leur époque en laissant d’impérissables souvenirs.  Si dans notre pays, judokas et ju-jitsukas, en nombres considérables  assouvissent  leur passion, c’est un peu grâce à ce personnage haut en couleur.

Le but de cet article est davantage de développer des impressions personnelles  que de proposer une biographie détaillée que chacun pourra trouver sur Internet.

Je n’ai pas connu personnellement Kawaishi Sensei (1899-1969). Mon père lui, le connaissait et il avait pratiqué sous sa férule ; il m’avait d’ailleurs conté quelques anecdotes à son sujet que je ne me permettrai pas de relater. Non pas qu’elles soient préjudiciables à la mémoire du grand homme, mais simplement parce qu’elles n’ont pas  de rapport, ou très peu, avec ce qu’il représente et ce qu’il a représenté.

Pour moi Kawaishi, ce sont avant tout trois choses : d’abord les «ceintures de couleur», ensuite la «Méthode Kawaishi» et enfin la self-défense.

Les ceintures de couleur d’abord. Il avait bien compris l’esprit européen – et français en particulier -, impatient et friand de récompenses. Ceci étant, il ne faut pas renier cette initiative qui participe largement à la fidélisation des pratiquants et à établir une hiérarchie des valeurs (shin-gi-tai) sur les tatamis. Leur utilité a été renforcée avec les demi-ceintures créées pour les enfants dans les années 1990.

Quant à la « méthode Kawaishi » de judo, elle répondait à un certain besoin d’organisation propre aux occidentaux. Les techniques ne portaient pas des noms japonais, mais des numéros dans chacun des  groupes auxquels elles appartenaient (jambes, hanches, bras, etc.). Ainsi o-soto-gari était le 1er de jambe, Ippon-seoe-nage le 1er d’épaule, etc. Le classement était valable aussi bien debout qu’au sol. J’ai commencé à l’aide de cette nomenclature et avec mes partenaires,  c’était à celui qui en connaissait le plus, sans pour autant savoir les exécuter. Ensuite, pour des raisons d’universalité, nous avons connu les appellations japonaises actuelles.  Ce classement était pragmatique et facilement assimilable, en termes de mémorisation  des noms. Pour le reste qu’il se nomme  10ème de hanche ou uchi-mata, s’il est mal fait, il est mal fait ; s’il est réussi, il est magnifique.

Enfin, Maître Kawaishi portait un intérêt évident pour la self-défense. Il  a d’ailleurs écrit un livre appelé « Ma méthode de self-défense ».  Cependant, il la distinguait du ju-jitsu, sans doute pour marquer les esprits sur l’aspect spécifiquement utilitaire et peut-être aussi parce qu’à l’époque, au japon, notre art martial ne bénéficiait pas d’une réputation flatteuse.

Il était doté d’une forte personnalité, que certains décrivaient comme autoritaire, mais est-il possible de réaliser de grandes choses et d’imposer un peu d’organisation sans un esprit de décision affirmé ? Le fameux kime, que l’on retrouve dans un célèbre kata : le kime-no-kata, littéralement « le kata de décision ».

A Paris il avait créé un club qui s’appelait le « Judo-Club de France » et c’est en son sein qu’il avait formé et nommé les premières ceintures noires française.

Il a su s’entourer d’une équipe à la solide complémentarité et avec laquelle  il a posé les bases d’un judo français qui fait référence dans le monde entier. Il appartient à cette catégorie de gens qui, de par leur engagement et leur personnalité, ont marqué un domaine et sans lesquels, le domaine en question n’aurait sans doute pas brillé comme cela a été le cas.

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